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Les chefs sans pouvoir : condition d’efficacité d’une organisation ?

Publié le
09 Janvier 2017

Et si les dirigeants d’entreprises pérennes devaient être des chefs sans pouvoir ? Quels sont les leviers d’une gouvernance démocratique efficace ? Le point avec Stéphane Jaumier, enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management et auteur de travaux de recherche inédits menés en immersion dans la société coopérative et participative Scopix*. Ses conclusions sont détonantes !

Scopix est une coopérative de salariés (SCOP), créée voici 30 ans. L’entité compte environ 25 collaborateurs, qui sont tous, à une ou deux exceptions près, également associés. Afin de comprendre le fonctionnement de Scopix, Stéphane Jaumier a travaillé au sein de l’atelier de septembre 2013 à septembre 2014.

« Initialement, mon idée était d’accompagner l’entreprise dans le déploiement d’outils de contrôle de gestion. J’ai travaillé un mois dans l’atelier, en tant qu’intérimaire, puis pendant un an à la production. Ma position de chercheur en management était connue de tous », note-t-il. Ambition ? Réaliser une ethnographie, au plus près de la réalité du terrain de l’entreprise. « Mon idée était d’adopter de l’intérieur le point de vue des acteurs de l’entreprise ».

Des chefs sans pouvoir, à l’autorité apparente

Le chercheur a fait le choix de s’intéresser à Scopix en raison de sa gouvernance atypique. « Scopix fonctionne avec un conseil de surveillance et un directoire. Le conseil de surveillance est composé de trois personnes, qui sont élues par l’ensemble des salariés pour un mandat de six ans. Le directoire est composé également de trois personnes, qui sont désignées par le conseil de surveillance, pour une durée de quatre ans. Dans leurs configurations actuelles, le conseil de surveillance et le directoire sont composés quasi-exclusivement d’ouvriers de l’atelier.

C’est un élément qui distingue fortement Scopix des autres SCOP de cette taille, qui sont généralement dirigées par un directeur général, qui est en même temps un manager professionnel, c’est-à-dire quelqu’un dont la gestion constitue le véritable métier », tient à souligner Stéphane Jaumier. Au-delà, le cas de Scopix est révélateur : «Alors que les statuts de la coopérative mettent en avant un certain nombre de mécanismes destinés à donner une légitimité aux chefs, l’étude de l’organisation dans sa réalité quotidienne, révèle la centralité des pratiques visant à saper cette légitimité».

« Le conseil de surveillance ne surveille pas grand-chose »

« Etre élu au conseil de surveillance est avant tout un gage de popularité auprès de ses collègues, souligne Stéphane Jaumier. Les membres du conseil de surveillance, une fois qu’ils ont désigné le directoire, semblent se désintéresser de son travail. La responsabilité de la gestion de l’entreprise repose essentiellement sur le directoire mais c’est là également une vision toute théorique. Les membres du directoire doivent continuer à assurer leurs tâches dans l’atelier. Ils n’ont que quelques heures par semaine à dédier à leurs fonctions de direction, principalement en dehors des heures de travail. Qui plus est, ils semblent n’avoir qu’une influence très limitée sur les orientations de la coopérative. Le même constat peut être formulé à propos des divers responsables : chef d’atelier, responsables comptable, commercial, technique, etc. ».

Mais alors, quelle alchimie d’exception explique le bon fonctionnement de l’organisation ?

« Si les chefs sont empêchés d’être de vrais chefs, c’est que l’organisation est très fonctionnelle »

« L’organisation Scopix est très ouverte : tout se dit, les conflits sont déployés tout au long de la journée, et l’accès aux figures d’autorité est direct. Ceci est une caractéristique majeure de l’organisation », relève Stéphane Jaumier. En effet, tout ne se passe pas au niveau de la gouvernance : les règles sont posées, mais il existe toujours un écart entre les règles édictées et la façon dont elles sont appliquées. En d’autres termes, tout est fait pour délégitimer les responsables. 

« Par exemple, dès qu’il cherche à parler ou agir d’une manière qui témoigne trop visiblement de son autorité – comme chercher à imposer quelque chose à un coopérateur, pousser une décision conforme à ses propres intérêts, etc. –, un membre du directoire court le risque d’être ouvertement tourné en ridicule par les coopérateurs. Le plus souvent, ceux-ci vont utiliser un simple trait d’humour pour lui faire comprendre qu’il excède son rôle, et le remettre à sa place », expose Stéphane Jaumier.

*La dénomination sociale de l’entreprise a été délibérément modifiée.

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