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La théorie du lotissement, spirale vertueuse d’une saine concurrence

Dans son ouvrage, Loïck Roche propose une façon radicalement nouvelle d’envisager les relations entre les entreprises, entre les organisations, entre les partis politiques, entre les personnes. L'objectif : créer les conditions d'une nouvelle alliance, ouverture sur la co-construction, la co-évolution, la co-croissance. Conditions à l'amélioration du bien-être de la société, et donc à son progrès. Entretien.


Vous avancez dans votre ouvrage une théorie d’ensemble vertueuse. Pourquoi cette corrélation ?

L’idée est simple, et sa compréhension très intuitive : la valeur de ma maison dépend étroitement de la valeur de la maison du voisin. Plus la maison du voisin a de la valeur, plus ma propre maison a de la valeur. Ainsi, si j’habite une très belle maison mais que la maison du voisin est une ruine, ma maison n’aura en réalité que peu de valeur. À l’inverse, si la maison de mon voisin est un château, quand bien même ma maison n’aurait rien d’extraordinaire, la valeur de ma maison va en bénéficier.

Ce qui est vrai pour des maisons au sein d’un lotissement est vrai de l’enseignement supérieur, des organisations, des entreprises, des partis politiques. Et même de la famille. Or, le plus souvent, en situation de concurrence, plutôt que de travailler à s’améliorer, on n’a de cesse de vouloir détruire le concurrent… Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce mouvement d’anéantissement qui nivelle par le bas existe en l’homme (à commencer par le sentiment de jalousie).

Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, l’exigence est de lutter contre cette inclinaison individuelle, qui consiste à préserver coûte que coûte ses « petits intérêts » pour préférer travailler à un intérêt supérieur : l’intérêt général.

Quelques exemples de « pratiques inopérantes entre concurrents, qui mettent à mal les relations inter-entreprises, et qui se résument à discréditer, disqualifier l’autre, voire à tout mettre en œuvre pour détruire la maison du voisin » ?

Les relations entre les grandes écoles et les universités. Trop souvent, ces composantes plutôt que de décrire ce qu’elles font de bien n’ont de cesse de vouloir rabaisser l’autre. Autre exemple, plus provoquant : que les élites se reproduisent entre elles, et alors ? Ce qui importe n’est pas de les pointer du doigt, mais de travailler à faire que des personnes aujourd’hui exclues puissent accéder un jour à la lumière.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les arbres, dans la forêt, pour pousser haut et droit se contraignent positivement. Un arbre au milieu de nulle part ne serait qu’un arbrisseau. Il ne s’agit pas de gommer la concurrence mais de la remettre au bon endroit. La concurrence, au départ, c’est « courir avec », cela induit une idée d’équipe, de partage. C’est là, me semble-t-il, la condition pour – au nivellement par le bas que l’on observe trop souvent et partout –, préférer construire le nivellement par le haut.

À la destruction, préférer la co-construction pour cultiver la co-croissance… Une fois arrivé au sommet, l’enjeu d’une organisation devrait être de procéder par tous les moyens au « nivellement par le haut ».

Concrètement, comment devraient alors s’illustrer ces pratiques vertueuses entre entreprises, et intra-entreprises ?

Certaines organisations et entreprises appliquent depuis longtemps la théorie du lotissement. La Silicon Valley illustre parfaitement ce que promeut la théorie du lotissement. Être avec les meilleurs. Qu’importent s’ils sont meilleurs que soi. Au contraire même. J’ai tellement à gagner à voisiner avec ce qui se fait de mieux. Quand comprendrons-nous qu’avant de vouloir être plus fort que l’autre, importe surtout de devenir plus fort que soi.

Oui, nous devons changer notre référentiel, changer notre façon de concevoir les relations avec les autres. [...] Appliquée aux personnes, la théorie du lotissement, c’est par exemple être en capacité d’écouter l’autre, et l’écouter vraiment ! C’est-à-dire d’aider l’autre à développer ses arguments, même si de façon naturelle nous voulons trop souvent exprimer très vite un désaccord pour développer ses propres arguments.

Car, ce qui prime, ce n’est pas l’argument de tel ou tel, c’est le meilleur argument pour l’intérêt général. L’enjeu est bien de reconsidérer l’intérêt général, qui, par définition, est supérieur à l’intérêt particulier. De la même manière en entreprise, l’idée directrice d’un manager devrait être de recruter plus fort que soi !

Les règles de la concurrence, lorsqu’elles sont loyales et non monopolistiques, entraînent de fait une saine émulation. Quelle différence établissez-vous avec la théorie du lotissement ?

Le monopole rend bête et arrogant. En situation monopolistique, pas de concurrence, pas d’émulation. Mais l’exigence va bien au-delà. Il en va de la compétitivité de la Nation. Nous sommes en situation d’urgence. Or, trop souvent, l’on préfère détruire ce qui fonctionne plutôt que de se mettre véritablement au travail pour améliorer ce qui ne fonctionne pas.

Un exemple : le Brexit. « Gouverner, c’est prévoir. » A quelques exceptions près, il n’y a eu aucune anticipation, et donc aucun travail sérieux de préparation à un scénario pourtant possible, dès lors qu’il y a un vote. Si les Britanniques ont voté majoritairement pour quitter l’Europe, la question à se poser est de savoir pourquoi. Qu’est-ce-qui a fait que les extrêmes, le populisme, l’emportent ?

Si l’Europe va mal, il ne s’agit pas de s’agiter sur sa chaise en dénonçant les effets. Si l’Europe va mal, il faut en cherche la cause. Et ayant trouvé et corrigé la cause, l’effet disparaîtra. Les politiques, plutôt que de n’avoir de cesse de s’exonérer des responsabilités aux premiers vents contraires, devraient prendre toutes leurs responsabilités à commencer par la première d’entre elles : se mettre sérieusement au travail.

« Se dépasser soi-même, et pas les autres ». Pouvez-vous préciser ?

L’important est d’être plus fort que soi, plutôt que d’être plus fort que les autres. Ce qui importe c’est de faire du beau bateau. Faire au mieux de ce que nous pouvons faire. Dans un cadre éthique où bienveillance, ouverture aux autres, mais aussi courage, engagement et responsabilité doivent être les garants de ma conduite, à la fois vis-à-vis de soi, et tout autant dans ma relation aux autres.

Nous pouvons être résolument optimistes. Les valeurs prônées par la théorie du lotissement sont en parfait alignement avec les mouvements émergents : économie du partage, économie collaborative, développement durable. Nous avons un devoir : éviter que le monde se défasse et pour cela, poser les conditions qui aident à reconstruire les défenses immunitaires de notre humanité.

La théorie du lotissement, Loïck Roche

Mis à jour le 12 Mars 2017 à 10h21