
Dégâts environnementaux, défauts de fabrication, corruption…, les entreprises du monde entier sont souvent à l'origine d'actes répréhensibles. Cependant, il est très difficile d'évaluer le niveau de moralité des entreprises. Non seulement du fait de leur taille, mais également parce que leur posture est rarement manichéenne. Beaucoup d'entreprises mènent à la fois de bonnes et de mauvaises actions. Les premières étant souvent là pour contrebalancer les secondes. En s'appuyant sur la conception catholique de l'indulgence, cet article apporte un éclairage sur ces comportements ambivalents qui influent la moralité des entreprises.
Cet article de Patrick O'Sullivan est le sujet du 36ème numéro des Résumés Managériaux de Grenoble Ecole de Management.
D'après l'article
Organisational indulgences or abuse of indulgences: Can good actions somehow wipe out corporate sins?
Organization I-22 DOI: https://doi.org/10.3917/mana.193.0203
Les auteurs ont établi une analogie entre l'ancienne conception catholique de l'indulgence (et ses abus associés) et l'engagement d'une organisation dans un comportement éthique ou contraire à l'éthique. L'église catholique a défi ni la notion d'indulgence comme « la rémission devant Dieu de la punition temporelle encourue en raison d'un pêché déjà pardonné ». En d'autres termes, les indulgences servent d'indemnisation aux pêchés commis dans le passé (et dans le cas d'abus d'indulgence, aux pêchés que l'on s'apprête à commettre). En appliquant le principe d'indulgence au monde économique actuel, les chercheurs proposent une classification destinée à évaluer le degré d'indulgence utilisée par l'entreprise.
Un cadre pour classer la moralité de l'entreprise
En étudiant le comportement des entreprises face à des actes condamnables, les chercheurs ont abouti à trois grandes catégories en matière de morale : 1) l'indulgence appropriée : l'entreprise manifeste une réelle volonté de compenser l'acte répréhensible et pour l'empêcher de perdurer ; 2) l'abus d'indulgence : l'entreprise ne fait aucun effort pour arrêter l'activité nuisible et espère compenser ce comportement par de « bonnes actions » ; 3) l'imposture organisationnelle : l'entreprise affiche une posture éthique (en termes marketing par exemple) tout en continuant à faire le contraire (c'est le cas du greenwashing).
L'intention : un facteur critique pour la moralité
Les chercheurs ont identifié l'intention comme élément central permettant d'évaluer la position morale d'une entreprise : elle seule permet de faire la différence entre l'indulgence appropriée et l'abus d'indulgence. Une entreprise peut se repentir d'une mauvaise action et avoir sincèrement l'intention de ne pas recommencer. La même entreprise peut aussi s'engager dans une action compensatoire destinée à corriger son erreur. Pour autant, l'entreprise peut tout aussi bien se repentir et s'engager dans des actions compensatoires sans avoir aucune intention d'empêcher la récurrence.
En plaçant l'intention au coeur du processus, les chercheurs suggèrent que le jugement soit fondé sur les conséquences réelles. Il est difficile, sinon impossible, d'établir les intentions d'un acteur juste en l'observant (de l'extérieur comme de l'intérieur puisqu'il peut toujours mentir). Du coup, seuls les résultats comptent. Si ceux-ci coïncident avec l'intention proclamée, nous pouvons présumer une véritable intention. À l'inverse, si les déclarations ne sont suivies d'aucun effet, nous pouvons être sceptiques quant aux intentions réelles de l'entreprise.
Trois exemples : Siemens, Shell et BP
En appui de leur théorie, les chercheurs ont analysé trois exemples bien connus du grand public : Siemens ou l'indulgence appropriée : le scandale de corruption qui a éclaboussé Siemens a conduit l'entreprise à un changement culturel majeur. Celle-ci a juré de ne plus s'engager dans des pratiques de corruption ; Shell ou les abus d'indulgence : suite à une forte pollution environnementale, l'entreprise a pris d'importants engagements en matière de RSE et avec les acteurs locaux. Cependant, des rapports répétés concernant des déversements d'hydrocarbures notamment continuent à être publiés ; enfin, pour illustrer l'imposture organisationnelle, les chercheurs ont analysé le cas de BP considéré pour beaucoup comme un parfait exemple de greenwashing.
A retenir
- La notion catholique d'indulgence peut fournir un cadre pour évaluer la moralité de l'entreprise.
- Du point de vue de l'entreprise, l'indulgence appropriée fait référence à de véritables actions compensatoires menées pour effacer des actions passées et à l'intention réelle de prévenir les fautes futures.
- En revanche, l'abus d'indulgence concerne des actions compensatoires possibles sans intention réelle d'empêcher que les actions néfastes ne se répètent.