
En avril dernier se déclarait l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Retour sur ce sinistre avec Sylvain Colombero, chercheur à Grenoble Ecole de Management qui pointe aujourd’hui l’opacité de l’enquête sur les circonstances de l’incendie, mais aussi du processus décisionnel dédié à la restauration du monument. Il questionne aussi les enjeux de temporalité, le temps de l’émotion passé.
Au vu de votre travail de recherche, quelle analyse faites-vous du traitement de l’incendie de Notre-Dame de Paris ?
On est aujourd’hui incapable de lister les raisons véritables des circonstances du drame. L’origine de l’incendie tient-elle à un court-circuit électrique ou à une cigarette mal écrasée ? L’opacité de l’institution est totale : les architectes des Bâtiments de France n’ont pas l’autorisation de s’exprimer. L’institution des Monuments historiques s’autogère et ne communique pas. Ce qui prime, c’est la confidentialité du clergé et des institutions françaises.
En revanche, l’un des principaux éléments positifs à tirer de cet événement, est que les citoyens tiennent à exprimer leur avis sur ce patrimoine matériel mais aussi symbolique. Notre-Dame de Paris est une institution en soi, symbole universel – car à la fois populaire, historique et religieux –, qui fait partie intégrante du patrimoine culturel français. Ainsi, à travers cet événement dramatique, c’est tout un symbole qui est replacé au centre du débat national. Adoré ou moqué, Stéphane Bern a eu le mérite de prendre le sujet à bras le corps. Mes recherches mettent justement l’accent sur la portée de ce type d’événement sur un groupe et ses actions.
Aujourd’hui, quels principaux écueils pointez-vous ?
Toute la question sous-jacente est de savoir ce que l’on veut faire avec Notre-Dame de Paris. Quelle trajectoire patrimoniale va-t-on adopter avec la reconstruction ? Et tant que cette question ne sera pas résolue, la question du financement et de ses contributeurs restera presque « secondaire ».
Il faut toutefois noter la distance entre les effets d’annonces (et les comportements très opportunistes) – quelque 1 milliard d’euros de promesses de dons… au vu des 38 millions d’euros qui ont été effectivement versés, essentiellement à travers les dons de particuliers. Dans la réalité, pour l’heure, les grandes fortunes et les entreprises n’y sont pas allées ! Le risque principal est que le citoyen lambda (i.e., le contribuable) paye plusieurs fois : à travers ses dons personnels, les diverses cagnottes, le loto du patrimoine mais aussi via l’impôt…
une ruine peut être considérée comme authentique et demeurer monument historique, car c’est la conséquence de la vie du bâtiment
Le temps de l’émotion passé, sait-on aujourd’hui qu’elles devraient être les grandes lignes directrices de la reconstruction de Notre-Dame, « sa trajectoire patrimoniale » ?
Cette décision est prise à huis clos entre les architectes en chef des Monuments Historiques, certains ABF (architectes des bâtiments de France), le clergé et le gouvernement français. C’est pourquoi, caler une échéance de rénovation patrimoniale sur l’agenda des Jeux Olympiques de 2024, relève du symbole. Aujourd’hui, toutefois, tout est imaginable en termes « d’authenticité », y compris une modernisation de l’édifice ! Philippe Starck pose ainsi le défi d’anticiper le futur… C’est pourquoi la question de restaurer la flèche représente à elle seule la question de l’authenticité et de la légitimité patrimoniale du futur bâtiment.
Rappelons toutefois que les Monuments historiques sont normalement tenus de reproduire le monument à l’identique, selon la charte de Venise de 1964 et la charte d’Athènes datant de 1931 principalement. Ainsi, si l’on décide d’intégrer un élément moderne, comme un ascenseur, il faut que l’installation soit réversible. Reproduire à l’identique est formellement impossible. Cela supposerait d’utiliser des techniques et des matériaux semblables au XIII et au XIX siècle… Des compromis et des arbitrages devront être faits. Se doter de marge de manœuvres autour de l’authenticité, c’est le sens de la proposition de loi faite, en juin dernier, à l’Assemblée nationale.
Votre thèse a porté sur trois monuments historiques français, dont Notre-Dame de Paris, et trois monuments danois. Elle relève les six facteurs clés permettant d’orienter le type de rénovation. Quels sont-ils ?
La préférence individuelle ; l’alignement sur le collectif ; l’argent ; le temps ; la question de l’espace – l’ile de la Cité est exiguë pour permette l’installation d’un échafaudage… - ; et enfin, les caractéristiques techniques. Reconstruire en cinq ans est un véritable challenge et nécessitera de jouer avec un certain nombre de variables ! Certains élus parisiens et des associations ont soulevé cet été par exemple la question du plomb, et il apparait qu’un déplombage du site durant les futurs travaux sera nécessaire.
La question de la flèche reste aussi dans l’inconscient collectif… De manière générale, les auteurs vont devoir s’accorder sur une nouvelle authenticité : une ruine peut être considérée comme authentique et demeurer monument historique, car c’est la conséquence de la vie du bâtiment. On peut dire ainsi : on sécurise Notre-Dame, on la conserve… Ou on restaure. D’un point de vue patrimonial, tout est recevable. Les enjeux sont aujourd’hui aussi multiples qu’obscures, mais il n’est pas concevable de ne pas inclure le citoyen dans cette discussion.
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