
Un nom de marque n’est jamais neutre. Il identifie certes un produit ou un service, mais véhicule aussi de l’information en lien avec sa sonorité, indépendamment du sens du mot. Une étude en psycholinguiste démontre comment les consonnes occlusives, telles que b, d, p et t évoquent l’action, et viennent accroître l’attractivité perçue de noms de marques par le consommateur.
« Notre postulat de départ s'inspire de la « théorie de la cognition incarnée », une branche de la psychologie cognitive, souligne Caroline Cuny, enseignante-chercheure en psychologie cognitive à Grenoble Ecole de Management : les actions motrices sont associées à des représentations mentales automatiques, qui se situent souvent hors du champ de la conscience. Ainsi, nous avons émis l'hypothèse que la prononciation des mots contenant des consonnes occlusives, telles que b, d, p et t (par opposition aux consonnes constrictives telles que f, l, s et v), suggère une action motrice en raison des mouvements articulatoires que leur prononciation requiert. L'effort qui est réalisé par la bouche pour être prononcés invite à l'action plutôt qu'à la passivité. »
Et d'ajouter : « Parallèlement, la psychologie sociale et cognitive a démontré que lorsqu'un individu perd le contrôle face à un événement, il met en place des stratégies de compensation lui permettant d'agir sur son environnement – y compris s'il fait face à des situations qui s'avèrent en réalité incontrôlables. C'est ainsi que la perte de contrôle personnel peut conduire une personne à passer à l'action dans des domaines sans lien direct avec la situation générant le sentiment de perte de contrôle. »
Accroître l'attractivité perçue des noms de marques
Caroline Cuny et Jamel Khenfer enseignant-chercheur à Zayed University, College of Business (United Arab Emirates), ont donc travaillé à partir de l'hypothèse suivante : si une perte de contrôle personnel déclenche une préférence pour l'action, de telles situations devraient accroître l'attractivité perçue de noms de marques dont la sonorité évoque l'action.
Trois études successives ont été réalisées en 2018 : la première étude a porté sur un panel de 85 jeunes adultes. La seconde a mobilisé 105 étudiants et la troisième, 123 personnes, dont la moyenne d'âge oscillait pour l'ensemble autour d'une vingtaine d'années. « Les résultats de ces études ont montré que lorsque les jeunes adultes se trouvaient en situation de perte de contrôle vis-à-vis d'une marque (et connaissaient donc un sentiment d'insatisfaction), ils préféraient dans tous les cas un nom de marque utilisant des consonnes occlusives plutôt que des consonnes constrictives, car la marque génère alors un plus fort sentiment de reprise de contrôle sur la situation et restaure le sentiment de contrôle personnel, simplement par la sonorité de son nom. »
Les consonnes occlusives : un principe de précaution ?
Pour générer automatiquement un sentiment positif à l'égard d'une marque, ou palier les éventuels désagréments d'un service ou d'un produit ne tenant pas sa promesse aux yeux des consommateurs, l'un des leviers consiste à utiliser des consonnes occlusives dans la construction d'un nom de marque, ce qui peut suggérer le sentiment de reprise de contrôle de la situation.
Pour la création d'une marque, l'idée est donc de privilégier l'utilisation des consonnes occlusives, indépendamment du sens du nom de marque. Pour la création de slogans, l'enjeu est d'utiliser les allitérations intégrant le plus d'occlusives, qui suggèrent ainsi une action plus forte.
« Ces études ouvrent des perspectives de recherche qui sont pour l'heure peu étudiées. Les effets d'interprétation peuvent représenter de formidables leviers dans le cadre de la création d'une marque, notamment lorsqu'un nom de marque n'a pas de sens – au plan sémantique, souligne Caroline Cuny. Ainsi, il serait dommage de se priver des atouts de la sonorité d'une marque, notamment lorsque les services délivrés par la marque ne sont pas toujours infaillibles aux yeux des clients… ».