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L’innovation intensive : une stratégie à bout de souffle

Publié le
04 Novembre 2016

Les déboires de Samsung montrent les limites de la stratégie de compétition par l’innovation intensive. Séverine Le Loarne préconise comme alternative la stratégie du SAV pour laisser le temps aux entreprises de lancer de vraies innovations.

Le Galaxy Note7 était annoncée comme le téléphone ultra résistant à l’eau, ultrafin, ultrarapide et ultraconnecté de la rentrée… Il fut surtout ultra-inflammable. Alors que le coût du retrait du marché et du dédommagement des clients est chiffré à plus d’un milliard de dollars, la marque coréenne aurait plutôt dû penser modularité : le remplacement de la batterie incriminée n’en aurait été que plus simple.

À l’heure où le groupe opère un changement de dirigeant, à l’heure où d’autres entreprises de grande consommation, comme le groupe Seb, repensent leurs produits dans une logique de remplacement partiel, que retenir de cette histoire ? Principalement, que les stratégies de compétition des entreprises fondées sur l’innovation à marche forcée s’essoufflent et qu’une troisième voie est possible pour la croissance des entreprises.

Au commencement étaient les produits… et les pièces détachées

Du temps de mon enfance, les produits « blancs » (la machine à laver, le réfrigérateur, etc.) et les produits dits « bruns » (la chaîne hi-fi, le téléviseur, les ordinateurs…) pouvaient tomber en panne. Certes, les parents pouvaient exprimer une quelconque contrariété de voir une nouvelle dépense s’annoncer, mais in fine se rendaient dans le magasin de réparation lequel permettait le remplacement de la pièce défectueuse. Le montant de l’opération ne permettait certes pas d’obtenir le produit dernier cri, mais s’avérait moins coûteux qu’un rachat de produit nouveau complet.

Mais, comme dirait un publiciste, ça, « c’était avant ». L’adoption généralisée d’une stratégie de compétition par l’innovation menée presque partout depuis les années 90 a conduit les entreprises d’une même industrie à rendre leurs produits obsolescents très rapidement. Deux moteurs à cette démarche. Il s’agit d’abord d’obsolescence en termes de design, d’usage parfois et le plus souvent de mode (rappelons que bon nombre de firmes de l’industrie de la mode sont passées de deux collections à quatre collections ; que les fabricants de téléphones renouvellent leur gamme tous les ans).

Ensuite, il s’agit aussi de réduire la durée du cycle de vie du produit à celui de ses composants (plus ou moins standardisés et eux-mêmes dotés d’une obsolescence programmée de plus en plus rapide puisque les acteurs en amont de la filière adoptent des stratégies similaires), mais aussi de réduire les coûts en produisant et en vendant très rapidement en masse.

Ces deux phénomènes couplés font qu’il est économiquement plus intéressant pour un client de remplacer un produit défaillant par un neuf dernier cri, qui plus est avec une meilleure performance et de nouvelles fonctionnalités, plutôt que demander le remplacement de la pièce défaillante. De toute manière, les entreprises productrices sont déjà passées à autre chose et ne conservent plus ces composants en stock.

Les entreprises incriminées y gagnent aussi : service après-vente très réduit et plus besoin de penser nécessairement l’ergonomie de l’intérieur du produit pour une éventuelle réparation par un tiers. Qui plus est, la récupération du produit une fois ce dernier consommé par le fabricant pour un éventuel recyclage est très rare.

Les limites du système tout-en-un pour innover plus vite

À trop vouloir concourir avec cette stratégie, la division téléphonie de Samsung a trébuché. Si les pertes peuvent être plus ou moins facilement épongées par un groupe de cette taille, le cas doit servir de leçon aux entreprises qui s’épuisent dans une fuite en avant.

Comme le fait remarquer un chroniqueur de Bloomberg à ce sujet dûment repris par le Korea Joongang Daily du 21 octobre, à vouloir sortir très (trop) rapidement de l’étau entre Apple, en panne d’innovation notoire avec l’iPhone 7 mais toujours marque premium, et ses concurrents chinois leaders du milieu de gamme, Samsung a omis de le concevoir le Galaxy Note7 de manière modulaire. Face à la défaillance, un rappel du produit et le remplacement de la simple batterie aurait ainsi été coûteuse mais aisée. Mais la volonté de jouer au plus vite le design ultra-fin a eu raison des tests d’une composante trop innovante et d’une conception ergonomique de l’intérieur de la machine.

Ce cas est à mettre en lumière avec une annonce, qui n’a pas le même retentissement dans la presse économique cette année : celui du lancement d’une nouvelle unité de réparation des produits par le groupe Seb.

Certes, les tailles des deux groupes et les cycles de vie de produits respectifs et de leurs composants sont différents, mais on retrouve les mêmes recettes : produits plutôt remplacés que réparés (du moins dans les pays dits développés), cherchant à suivre les modes de la décoration intérieure et à proposer toujours plus de nouvelles fonctionnalités d’ailleurs pas toujours perçues par le consommateur. L’un comme l’autre mettent en lumière à leur manière la limite de la stratégie de compétition par l’innovation intensive et la volonté de rajeunir le modèle économique du service après-vente.


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