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Le New Deal des managers du numérique à l’ère du coronavirus

Le New Deal des managers du numérique à l’ère du coronavirus
Publié le
11 Mai 2021

La crise sanitaire a bouleversé les modalités de travail, hors les murs de l’entreprise, et pose les nouvelles fondations du management à l’ère de la digitalisation du travail. Managers du secteur numérique, DRH et dirigeants réinterrogent la finalité de leur fonction, et se confrontent au triptyque de la confiance, de l’impact des technologies numériques et de la responsabilité.

Entretien avec Arnaud Tonnelé, Executive coach et coach d'organisation au sein du cabinet Kea & Partners, 1e cabinet de conseil certifié B-Corp. Ex-enseignant à GEM, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les transformations et l'efficience des équipes. Avec Cécile Séon, directrice du programme Executive management SI et numérique à GEM, il a récemment animé un webinar sur le thème : « Confiance, impact, conscience : le triple défi des managers du numérique à l'ère du coronavirus ».

Au plus fort de la crise sanitaire, le télétravail a fait la preuve que la plupart des collaborateurs se sont mobilisés en travaillant loin de leurs managers. Qu'en pensez-vous ?

 On a pensé pendant des décennies que, lorsqu'on ne voyait pas les gens, ils ne faisaient rien. Le 1er confinement a montré qu'il n'en était rien, que les collaborateurs se mobilisaient à 100%  pour leur équipe, leur entreprise, leur organisation. On s'est aperçu, dans les entreprises que nous accompagnons dans le déploiement des nouvelles formes de travail, que le vrai risque était beaucoup plus le sur-engagement que le sous-engagement. Ça a été une vraie découverte pour beaucoup !

Mais au fond, ce n'est guère étonnant : des individus se désengagent du travail quand ils n'ont pas assez d'autonomie, quand on les infantilise, quand on leur dit par le menu tout ce qu'ils doivent faire, comment ils doivent le faire, quand ils passent plus de temps à dire ce qu'ils font qu'à le faire. La crise sanitaire a balayé tout ça. On s'est recentré sur l'essentiel : produire, vendre. On a été bien obligé de laisser faire les collaborateurs, et, Ô surprise, ils ont été capables de trouver les solutions tout seuls. « Enfin, on nous a laissés travailler ! » est probablement la phrase que l'on a le plus entendue.

Quelle est votre analyse du rôle de manager durant la crise sanitaire ?

 L'année 2020 nous a réservé quelques jolis « cadeaux cachés ». Le télétravail a remis le management et le travail au centre. Quand vous n'êtes plus obligé de venir au bureau, le manager est bien obligé de repenser les modalités du collectif : qu'est-ce qu'on fait ensemble ? Comment ? A quoi sert notre collectif ?

Les modalités du travail collectif doivent être repensées, réinventées. Et ensemble : avec l'équipe. L'heure est au dialogue à la confiance, à la créativité. Ça ne se fait pas tout seul. Les managers ont besoin d'être soutenus dans ce travail.

 La crise sanitaire a rendu plus criant que jamais le fait que les anciens paradigmes managériaux sont dépassés, inadaptés au monde d'aujourd'hui, aux attentes d'aujourd'hui. Les collaborateurs sont éduqués, informés, sont autonomes. Ils le sont tous les jours, dans leur vie personnelle. Pourtant, une fois passé le portillon de leur entreprise, on leur dit : « Vous allez faire ce qu'on vous dit. » Forcément, ça coince.

 Le pire qui peut attendre une organisation, c'est que ses collaborateurs fassent ce qu'elle attend. Car alors, adieu engagement, créativité, agilité, innovation. On met une énergie folle à recruter des gens intelligents, et une fois recrutés, on veut qu'ils laissent leur intelligence à la maison. Dans un monde prévisible et planifiable, c'est bien d'avoir des exécutants. Dans le monde VUCA d'aujourd'hui, c'est potentiellement mortel.

 A quoi sert le manager, s'il n'est plus là pour contrôler ?

 C'est très simple : il sert à manager ! Et le management n'est pas le contrôle. On ne contrôle que des gens en qui on n'a pas confiance ou qui ne sont pas compétents. Dans les 2 cas, la balle est dans le camp du manager : soit pour créer ou recréer les conditions de la confiance, soit pour accroître le niveau de compétence des collaborateurs. On a un peu oublié ces dernières décennies le rôle du manager dans le développement des compétences de ses collaborateurs. Le management, c'est s'occuper de ses collaborateurs : les écouter, prendre de leurs nouvelles, les aider, leur donner les moyens dont ils ont besoin, les encourager, les soutenir. On est bien loin du contrôle et du reporting hebdo.

 Cette crise a aussi remis, un peu brutalement certes, « l'église au centre du village », en bousculant la hiérarchie habituelle des emplois. Cette crise a montré que l'on pouvait mettre à l'arrêt quantité de jobs (y compris le mien), et que les fonctions vitales du pays ne s'arrêtaient pas pour autant. C'est ce qu'avait tenté de montrer David Graeber avec sa notion de bullshit jobs. Les confinements ont montré que des boulots placés en bas de l'échelle des revenus étaient infiniment plus utiles que quantité d'autres, qui remplissent les sièges sociaux.

Les confinements ont montré que des boulots placés en bas de l'échelle des revenus étaient infiniment plus utiles que quantité d'autres, qui remplissent les sièges sociaux.

 La brutalité de la crise sanitaire – qui sera très probablement suivie d'autres – a montré aussi l'inanité des activités de prévision. Là-dessus, je ne saurais trop renvoyer aux travaux de Nassim Taleb, ancien trader, qui a inventé la notion de « cygne noir », c'est-à-dire d'événements hautement improbables aux conséquences incalculables. Nos sociétés concentrent leur énergie sur ce qui est prévisible, et délaissent l'improbable. C'est une erreur de raisonnement aux conséquences dramatiques : que des événements improbables arrivent est hautement probable. Il faut s'y préparer. Mais cela suppose de regarder un peu plus loin que le prochain quaterly et, surtout, de penser avec d'autres schémas mentaux.

 Cette crise nous a aussi refait goûter à 2 vertus que l'on avait oubliées – en Occident tout au moins – depuis longtemps : l'humilité et la patience. Ça aussi, c'est un cadeau caché de la crise sanitaire.

Nous sommes toujours en situation de crise. Que recommandez-vous aux managers des SI ?

Première recommandation : reconsidérer leurs plannings, en intégrant des délais de décision plus longs.  Les décisions ne se prennent jamais, jamais aussi vite que ce que les plannings des chefs de projet prévoient. Les francophones parlent de « prendre une décision ». Les Anglo-Saxons utilisent le terme de « to make a decision ». Une décision, ça se fabrique, ça se travaille, ça se mature. Beaucoup de stress dans les projets vient du fait qu'on sous-estime les temps de maturation des décisions. Du coup, on est toujours en retard. L'être humain n'est pas une machine dans laquelle il suffit de faire rentrer des data pour qu'il en sorte des décisions.

 2e recommandation : apprendre. Je suis toujours surpris du si faible usage qui est fait des retours d'expérience. Tous les domaines de la vie sociale apprennent ; l'entreprise peu, pas assez en tout cas. On y refait 1000 fois les mêmes erreurs, on y répète 1000 fois les mêmes modes opératoires, même quand on voit qu'ils ne marchent pas. On en devient bête. La bêtise, c'est l'erreur qui insiste comme dirait Bruno Jarrosson. C'est tout le contenu de mon dernier livre, Comment réussir à échouer plus vite et plus efficacement. C'est dommage, pour tout le monde.

 3e recommandation : laisser les outils à leur place. Je sais que ça ne va pas forcément faire plaisir à des experts des SI, mais les outils ne doivent pas sortir de leur statut d'outils, c'est-à-dire de moyens. Malheureusement, c'est un peu le contraire auquel on assiste : les humains doivent s'adapter aux outils, et non le contraire. La promesse de l'informatique visait à libérer l'homme. Or, à quoi assiste-t-on ? A des personnes qui passent plus de temps à essayer de comprendre leur nouveau logiciel – que celui qui, au cours des 12 derniers mois, n'a jamais entendu cette fameuse phrase « on a changé de logiciel » me jette la 1e pierre – qu'à s'occuper du client. C'est source de frustration pour tout le monde.

 La course à la data est un autre domaine dans lequel on perd tout bon sens. On cherche à stocker, emmagasiner le maximum de données, au cas où certaines nous échapperaient. Pour mémoire, le 11 septembre 2001, 19 hommes, 4 avions et 1 heure de temps ont réussi à faire mettre un genou à terre au pays le plus équipé en tech au monde. L'enjeu aujourd'hui n'est pas de stocker, mais de sélectionner, repérer les informations pertinentes. On croule sous l'information, mais on manque d'intelligence. Il n'y a qu'à voir la difficulté qu'on a à adresser les grands enjeux de notre temps. On a besoin de gens qui pensent, pas simplement d'algorithmes qui raisonnent en « si… alors… ». Et penser, ça signifie établir des liens entre des choses, des événements, des temporalités qui n'ont jamais été faits avant. Ça suppose des sciences humaines, de la culture générale, pas simplement des savoirs techniques. Les établissements d'enseignement supérieur devraient se mobiliser là-dessus.

Selon vous, les managers des SI notamment sont détenteurs de responsabilités. Quelles sont-elles ?

 Quand on a du pouvoir, on a des responsabilités, et les technologues ont du pouvoir. En même temps que le pouvoir augmente, le niveau de conscience doit augmenter. Ainsi, ce n'est pas la technique qui doit nous dicter ce que nous faisons, ce sont les humains.  A quoi sert ce que je fais ? Quel est le sens de mon travail ? Quelles seront ses portées ? Mon travail conduit-il à des améliorations, ou pas ? On ne peut pas juste se dire : moi je fais une appli, un logiciel, et je me désintéresse de l'usage qui en sera fait. Ca n'est plus tenable une position comme ça. Chacun doit se sentir responsable de ce qu'il fait, envisager les conséquences de son travail.

 « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », écrivait Rabelais. Aujourd'hui, l'enjeu est d'accroître le niveau de conscience des managers des SI au regard des nouvelles perspectives sociétales et des bouleversements induites par les crises. Celle d'aujourd'hui comme celles qui lui succèderont doivent être des opportunités de repenser ce que l'on fait et comment on le fait.

Dernier ouvrage publié par Arnaud Tonnelé : Comment réussir à se planter plus vite et plus efficacement, Eyrolles, 2020.

Programme de formation GEM - Executive Manager des SI : une double compétence managériale et technique

Le Programme de formation Executive Manager des Systèmes d'Information et du Numérique permet d'acquérir une double compétence managériale et technologique dans le domaine des systèmes d'information de l'entreprise.

Porté par une filière dynamique, reconnue et parrainée par de grandes entreprises, ce programme ouvre l'accès à trois métiers d'élection : DSI, consultant expert en management des SI et directeur de projet SI.

La pédagogie innovante, dispensée sur le campus de GEM Labs, à Grenoble, adresse les candidats, titulaires d'un Bac+2 minimum (ou équivalent), détenteurs de quatre ans d'expérience professionnelle significative dans le domaine des SI et du numérique, et via la VAE. La formation, équivalent Bac+5, permet de bénéficier d'un titre de niveau 7 Manager des systèmes d'information et du numérique, enregistré au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

Les enseignements sont délivrés en français par des intervenants de renom (20 % d'enseignants-chercheurs de GEM - 80% de praticiens professionnels), et s'articulent autour d'apprentissages théoriques et pratiques, en prise directe avec la réalité du marché, et fondés sur des cas d'entreprise réels (projets intégratifs). Les apports de la formation permettent ainsi de :

  • Superviser des projets de systèmes d'information et accompagner les métiers dans leur transformation numérique
  • Elaborer et piloter une stratégie systèmes d'information et d'en établir la gouvernance ;
  • Piloter des hommes et des équipes de systèmes d'information pluridisciplinaires ;
  • Gérer la sécurité de l'information et piloter la veille ;
  • Déployer la politique d'achats des systèmes d'information, ainsi qu'une politique responsable des activités numériques de l'entreprise.

Durée et format du programme, compatible avec une activité professionnelle

Part-time : 38 jours en présentiel répartis sur 12 mois - 1 session de 5 jours en janvier, puis 11 sessions de 3 jours (jeudi, vendredi, samedi) les mois suivants, en présentiel, pour un total de 294 heures. Prochaine session : le 17 janvier 2022.

Cécile Séon est responsable pédagogique de la formation Executive Manager des SI à GEM, par ailleurs consultante senior sur des projets d'intégration IT-MDM-ERP en relation avec les entreprises. Avec à son actif 25 ans dans la gestion de programmes IT, Cécile Séon a évolué de la finance à l'informatique, des fonctions opérationnelles aux fonctions de gestion dans l'industrie, les services informatiques et la pédagogie. Consultante et manager orientée résultats, elle a suivi un parcours d'expert ERP, chef de projet et de programme, directeur de centre de compétences IT dans les secteurs de l'énergie, de l'automobile et de l'outdoor.

 

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