
Comment l’émergence de nouvelles pratiques agricoles, telle que la permaculture, peut permettre d’imaginer d’autres façons d’organiser les sociétés humaines ? C’est la question qui est posée par une recherche novatrice dans le champ des organisations. Son ambition ? Répondre favorablement à l’impact inédit de l’homme sur son environnement.
« Alternative Visions: Permaculture(1) as Imaginaries of the Anthropocene(2) – Forthcoming in Organizations », publiée en juin dernier dans la revue Organization, est l’intitulé de la recherche qui a été conduite par Anahid Roux-Rosier, doctorante au sein du département de philosophie de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Ricardo Azambuja, enseignant-chercheur à l’ESC Rennes School of Business, et Gazi Islam enseignant-chercheur en sciences de organisations, à Grenoble Ecole de Management.
Entretien avec Gazi Islam, chercheur à Grenoble Ecole de Management.
Pourquoi vous être attachés dans cette étude à la permaculture, pour envisager un modèle d’évolution des organisations humaines ?
La permaculture n’est pas seulement une méthode agricole, qui vise notamment à supprimer la monoculture. La permaculture reconsidère l’usage des ressources, en privilégiant la diversité des entités dans une approche écologique. Notre travail de recherche a donc consisté à théoriser de nouvelles pratiques dans les organisations humaines, qui s’inspirent du modèle de la permaculture. Cette recherche intègre toutes les organisations humaines, au sens large – et pas uniquement les organisations économiques. Elle vise un objectif : imaginer de nouvelles relations humaines pour mettre au jour des pratiques concrètes.
En quoi a donc consisté votre travail de recherche ?
Nous avions pour objectif d’établir une « carte de terrain », qui détaille les différentes approches d’organisations possibles. D’où l’étude de la littérature scientifique sur la diversité des alternatives offertes par la permaculture. Trois courants émergent, qui sont présents à différents degrés dans chaque initiative propre à la permaculture.
Le premier courant qui a été identifié est qualifié de « débroussailleurs ».
Ces personnes sont à la recherche de matériaux originaux permettant de produire autrement. Ces groupes d’individus sont générateurs d’inventions, d’innovations… portées par d’autres modes de relations entre les différents acteurs. Ce courant est proche des mouvements libertaires et anarchistes. Il est constitué de petites communautés humaines, qui partagent de bonnes pratiques, plus saines, pour cultiver les sols. Plutôt individualiste, cette organisation humaine a su néanmoins développer un savoir-faire commun. Politiquement, ce courant génère des organisations décentralisées, en réseaux.
« L’imaginaire Gaïa » compose le second courant.
Il est le reflet d’une vision harmonieuse entre l’homme et la terre. C’est une vision quasi rousseauiste du monde, dont émane l’idée de pureté, du retour à l’innocence… avant l’avènement de la modernité. C’est une organisation presque religieuse et transcendantale. Ici, le système doit être vénéré. La relation avec la terre (d’où le lien à la permaculture), permet de retrouver du sens. Au plan politique, ce courant offre une vision collective et idéaliste, qui contraste avec le mouvement des débroussailleurs, plus individualiste.
L’imaginaire du « mouvement social »
Il est quant à lui porté par un discours politique, qui se place en résistance aux systèmes et aux grandes entreprises. Toutefois, plutôt qu’individualiste, ce courant se traduit par un mouvement politique, qui intègre des courants tels les mouvements ouvriers, féministes et des « natives » chez les afro-américains et les Amérindiens par exemple. La question de l’interculturalité est ici centrale. Ce courant offre aussi une vision politisée de la permaculture.
Quelles sont les grandes questions de société qui émergent de votre recherche ?
De nombreuses approches, issues de la permaculture, surgissent partout dans le monde. Toutes sont émergentes, et soulèvent forcément des questions.
L’approche des « débroussailleurs » est très concrète, très utile pour résoudre notamment les problèmes inhérents à la crise climatique. Elle est néanmoins trop individualiste pour créer, à grande échelle, une pratique alternative. La seconde approche, rousseauiste, peut créer une mobilisation générale. La troisième vision, portée par l’imaginaire d’un mouvement social, permet l’ouverture au dialogue et aux échanges de pratiques alternatives avec les autres mouvements. Ce courant rencontre toutefois des difficultés à poser les fondements du pouvoir. Ces trois approches ont néanmoins chacune le mérite de permettre d’ouvrir le champ de la recherche dans ce domaine.
1. La permaculture est une méthode systémique et globale, qui vise à concevoir des systèmes (par exemple des habitats humains et des systèmes agricoles, mais cela peut être appliqué à n'importe quel système), en s'inspirant de l'écologie naturelle (biomimétisme ou écomimétisme) et de la tradition.
2. Le terme Anthropocène, proposé par Paul Crutzen en 2002, Prix Nobel de chimie, est employé pour désigner une nouvelle ère géologique, résultante des actions anthropiques de l'Homme sur l'environnement mondial : perte de biodiversité, changement climatique, érosion des sols…
L’ Anthropocène désigne une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon lui à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l'Holocène.
L'Anthropocène serait la période durant laquelle l'influence de l'être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu'elle est devenue une « force géologique » majeure capable de marquer la lithosphère.