Vous êtes ici

La micro-aventure ré-enchantera-t-elle le tourisme de demain ?

La micro-aventure ré-enchantera-t-elle le tourisme de demain ?
Publié le
17 Juillet 2020

Créer du merveilleux dans son quotidien… Tel est le credo des adeptes de plus en plus nombreux de micro-aventure – une aventure courte et intemporelle, qui se concrétise à deux pas de chez soi. Cet été 2020, si particulier, devrait accélérer le déploiement de ce courant émergent. Comment les acteurs du tourisme peuvent-ils s’en emparer ?

Hélène Michel est enseignante-chercheuse à Grenoble Ecole de Management, spécialisée dans l'innovation et la gamification. Depuis trois ans, elle mène des recherches sur le « Staycation » un mode de vacances où l'on reste près de chez soi pour redécouvrir un territoire qui nous est familier, en intégrant du « merveilleux » grâce notamment à la micro-aventure. Entretien.

Comment définissez-vous la micro-aventure, que vous caractérisez notamment par « le goût pour de nouvelles pratiques d'ensauvagement » ?

La micro-aventure est pour Alastair Humphreys, aventurier, auteur et conférencier anglais, une aventure « courte, proche de chez soi et qui s'insère dans le quotidien ». C'est une tendance montante partout dans le monde. Les adeptes de micro-aventure ont un point commun : ils cherchent à fuir le tourisme de masse ; ils partagent aussi le fait de n'avoir parcouru qu'une heure de route depuis leur domicile. Faire du tourisme sur son propre territoire, c'est la définition même du « staycation » (contraction de « to stay » pour résider et « vacation » pour vacances).

Ces raisons économiques se combinent aussi à des motivations idéologiques dans un contexte climatique où prendre l'avion pour un oui ou pour un non n'est plus perçu d'un très bon œil – on a vu se développer en Suède depuis deux ans le « flygskam », qui désigne la honte émergente de prendre l'avion. Au-delà, c'est la temporalité liée à la micro-aventure, qui marque la différence : la micro-aventure est davantage un mode de vie, que des chercheurs ont qualifié de touristification du quotidien. Le but est d'insérer des temps de loisirs et de vacances dans des interstices de son emploi du temps. Au total, il s'agit donc d'enchanter son quotidien en trouvant des failles temporelles.

Qui sont les adeptes de micro-aventure ?

Il y a chez eux une volonté d'optimiser leur journée en tirant le meilleur parti d'un planning très contraint. Cette approche implique de chasser les temps morts ou peu intéressants du quotidien, en y intercalant des activités signifiantes. Ce désir d'être performant ou accompli sur tous les plans serait le propre des nouvelles classes dominantes, dites « classes aspirationnelles ».

Les individus recherchent l'accomplissement et le sentiment de progression personnelle même dans les activités de loisirs. Les expériences originales permettent de se sentir productif et efficace dans l'usage de son temps. Au matin, la vie normale reprend, mais avec la dimension supplémentaire d'avoir accompli quelque chose. Cela peut ressembler à la volonté d'intégrer une heure de sport dans son emploi du temps quotidien, au prix de prouesses d'organisation. Le rapport à la nature y rajoute une dimension supplémentaire.

Comment naissent les sources d'inspiration de la micro-aventure ?

La micro-aventure n'est pas une pratique mais un rite qui fonctionne à l'image d'un système communautaire. Ses principales sources de référence et d'inspiration sont les plateformes communautaires, comme Chillowé, The Others, ou bien encore, 2 jours pour vivre.

Sept jours d'expérimentation...

Dans sept lieux emblématiques des Alpes – Chanaz, le lac d'Aiguebelette, le lac de Paladru, La Bastille à Grenoble, le Chêne de Venon, le plateau des Petites Roches…  Le Fabularium, ce laboratoire grandeur nature, devrait alimenter de nouvelles approches liées à la micro-aventure. Comment ?

Penser le tourisme de demain est l'objet de la recherche sur la micro-aventure, que j'ai engagée voici trois ans. Le Fabularium a ainsi été créé l'an dernier avec le soutien de la Chaire Territoires en Transition de GEM, et réalisé par un artisan de la région. Il s'agit d'un bureau mobile, équipé d'une machine à écrire, démontable et transportable à dos d'homme. Pour l'imaginer, je me suis inspirée des colporteurs d'autrefois qui emportaient marchandises et histoires d'une vallée à l'autre dans les Alpes. Une fois montée, cette machine à voyager devient un « objet spectaculaire », amplificateur de l'expérience. En rédigeant une lettre d'amour, de regret ou de rupture à son territoire, l'utilisateur permet ainsi le recueil de données qui serviront de support d'analyses et de propositions.
Cette expérimentation via le Fabularium permettra d'aller plus loin dans la compréhension du phénomène de micro-aventure, des motivations des participants et des sources de réappropriation d'un territoire.

Comment les acteurs du tourisme peuvent-ils mettre à profit vos expérimentations « grandeur nature » ?

Les Offices de Tourisme, les aménageurs, les équipementiers, tels Opinel, Décathlon, Nature et Découvertes… sont aujourd'hui très attentifs au phénomène de micro-aventure. Leur offre évolue. L'enjeu, pour tous ces acteurs, est de savoir quels concepts, quels objets, quels dispositifs, quels services, avec quelle formation pour les acteurs locaux… seront aptes à produire du merveilleux dans les stations de montagnes – la valeur refuge de cet été, à l'issue de ces deux mois de confinement. Et, en quoi ces nouvelles tendances émergentes seront capables d'influencer leurs propositions de valeur dans les stratégies d'aménagement et de valorisation des territoires.

Ouvrage à paraître au printemps 2021 : « La Recherche Grandeur Nature » sous la forme d'un journal de bord. Presses Universitaires de Grenoble

 

Articles d'Hélène Michel dansThe conversation :

 

 

Cela pourrait vous intéresser