
Face aux enjeux climatiques, la mobilisation citoyenne révèle à grande échelle les exigences sociétales pressantes en matière de transition énergétique. Comment les entreprises peuvent-elles s’emparer de ces aspirations, et les transformer en opportunités de développement ? La Chaire Energy for Society œuvre à l’anticipation et au déploiement de stratégies pilotes et concertées dans le domaine énergétique.
Entretien avec Carine Sebi, spécialiste des stratégies énergétiques et responsable de la Chaire Energy for Society à Grenoble Ecole de Management.
Le 7 novembre dernier, Grenoble Ecole de Management a lancé la Chaire Energy for Society avec trois partenaires et mécènes : l’industriel, Air Liquide, la Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes et l’énergéticien français, Engie. Quel est l’objectif de votre travail conjoint ?
L’objectif de la chaire est de développer des services et des stratégies précurseurs dans le domaine de l’énergie, fondés sur les aspirations nouvelles en termes de consommation et d’usages. Les entreprises doivent, aujourd’hui plus que jamais, être forces de propositions face au défi de la transition énergétique. C’est dans ce cadre que nous cherchons à comprendre les conditions selon lesquelles ces nouvelles organisations deviendront durables.
Les enjeux de notre collaboration avec les entreprises mécènes se résument de la manière suivante : comment ces stratégies impactent l’entreprise et plus largement la société dans son ensemble ? Comment les entreprises vont-elle créer de nouveaux marchés d’affaires répondant à la fois aux normes réglementaires et aux aspirations citoyennes ? Comment proposer mieux et moins consommer ? Comment les entreprises vont-elles se coordonner et s’organiser pour développer de nouvelles propositions de valeur qui toucheront en masse les citoyens ?
Quel est le changement de modèle qui s’opère, et qui vient conforter la création de la Chaire Energy for Society ?
Ironiquement, nous vivons une époque énergétique formidable ! Les chercheurs travaillent depuis des décennies dans le champ de l’environnement et de l’énergie, et ils n’ont jamais vu un tel engouement. Le modèle énergétique fondateur s’inverse : nous partons d’un système centralisé, d’Etat, déployé par des acteurs « suiveurs d’ordres », et assistons depuis quelques années sur les marchés à un mouvement de bascule, infléchi par les citoyens eux-mêmes : de nouveaux modes de consommations et de nouveaux besoins apparaissent, telle que la consommation à l’usage (plutôt que l’achat)… Parallèlement, face à l’urgence climatique, les Etats sont taxés d’inaction. Les politiques prises sont souvent mal perçues (cf. le mouvement des Gilets jaunes). Les jeunes, dont la voix est portée par Greta Thunberg, se mobilisent à l’échelle planétaire, tout comme les mouvements contestataires. Au regard de cette nouvelle donne, la Chaire Energy for Society offre aux entreprises les moyens de développer leurs procédés et leurs services en vue d’accélérer la transition énergétique… tout en « embarquant » les citoyens.
Concrètement, quels sont aujourd’hui vos projets de recherche ?
La Chaire Energy for Society comprend six chercheurs permanents, spécialistes en management stratégique de l'innovation et de la technologie dans le domaine de l'énergie, un thésard ainsi qu’une post-doctorante entièrement dédiée à la chaire. Trois projets de recherche sont aujourd’hui lancés, afin de répondre aux enjeux énergétiques et développer de nouveaux modèles d’affaires.
- Comprendre les stratégies d’innovation durable des entreprises.
Il s’agit là d’analyser comment les entreprises combinent des objectifs économiques et sociétaux, via leur politique RSE. Quels sont les courants porteurs, et comment le middle management peut-il percevoir et enclencher une stratégie de développement durable dans l’entreprise ? Nous allons travailler à partir de rapports d’activité, d’études de cas ainsi que d’une enquête ciblant les grands groupes industriels français. - Comprendre les nouveaux modèles de coopération pour créer des services énergétiques innovants.
La numérisation, le développement de nouvelles énergies comme l’hydrogène, les besoins en souplesse et flexibilité d’usage supposent de repenser les modèles de développement énergétique. Nous travaillerons ici à l’amélioration des modèles d’organisation permettant la coordination d’entreprises complémentaires dans la création de nouveaux services énergétiques. - Comprendre l’implication des nouveaux usages sur les modèles économiques émergents du secteur de l’énergie.
Quelles stratégies les entreprises devront-elles déployer face à la propension nouvelle des utilisateurs à payer à l’usage plutôt qu’en acquérant des équipements de production ou de consommation d'énergie ? Quelles seront les implications et le potentiel des marchés d’affaires des fournisseurs de services et d’équipements ?