
Comment l’industrie pharmaceutique apprend-t-elle de l’expérience acquise sur ses rappels produits ? Parvient-elle à les rendre moins fréquents et moins graves ? Arusyak Zakaryan, chercheuse à GEM, a étudié la question sur plus de 1000 rappels intervenus aux États-Unis entre 2002 et 2017. Principal enseignement : traiter rapidement les rappels ne garantit pas les progrès à long terme.
Cet article fait partie de "Paroles de chercheurs", un cycle d’interviews sur des sujets variés en lien avec les expertises dela chaire Public Trust in Health, de Grenoble Ecole de Management.
Pourquoi vous être intéressée à cette problématique des rappels produits ?
Arusyak Zakaryan : les processus d'apprentissage des entreprises sont beaucoup observés, car jugés essentiels pour leur développement durable. En outre, les événements tels que les rappels produits causent des dysfonctionnements tout en offrant des opportunités assez exceptionnelles d'apprentissage et de changements organisationnels. Mais les firmes arrivent-elles à vraiment apprendre de ces expériences ? D'après notre étude, la réponse est assez nuancée.
Pourquoi avoir choisi l'industrie pharmaceutique américaine ?
A.Z. : La gestion des rappels produits est très codifiée et strictement encadrée par la Food and Drug Administration (FDA) : tout est documenté. J'ai ciblé les fabricants de médicaments cardiovasculaires et collecté des données sur plus de 1000 rappels en une quinzaine d'années. Je précise qu'il s'agit bien de rappels, dus à un défaut de fabrication ou de stockage, à une contamination, etc. et non de retraits du marché de médicaments dont on découvre tardivement les effets néfastes pour la santé.
Quelle est la principale conclusion de vos travaux ?
A.Z. Pour mieux comprendre comment les firmes gèrent leurs rappels produits et en tirent des leçons, nous avons décidé de nous focaliser sur la notion du temps : combien de semaines ou de mois s'écoulent, depuis la détection et la déclaration du problème de qualité jusqu'à sa résolution complète ?
Dans mon étude, cette durée va de 40 jours à 26 mois, avec une moyenne à un an. Cela dit, la durée seule est moins significative que ses variations. Si un laboratoire confronté à des rappels produits les traite dans des délais assez constants, c'est qu'il capitalise bien l'expérience. À l'inverse, si ces durées fluctuent beaucoup, c'est qu'il n'arrive pas à mettre en place des routines et des procédures fiables et reproductives ; l'apprentissage se fait mal.
La régularité des délais de traitement serait donc plus importante que leur réduction à long terme ?
A.Z. : Oui, et c'est l'un des principaux résultats de notre étude. Les firmes avec des délais de traitement plus courts que la moyenne sont confrontées aussi à davantage de rappels. Notre explication : un rappel traité en peu de temps peut avoir un effet négatif.
Quand on veut terminer le rappel au plus vite, on ne peut pas en même temps analyser les causes du problème en profondeur et lui apporter des réponses pérennes. Ce sont deux démarches très différentes, qui risquent de se cannibaliser si on les mène de front.
Le laboratoire peut avoir de bonnes raisons de redémarrer vite, par exemple le maintien de son chiffre d'affaires ou l'absence de substitut à son médicament…
A.Z. : En effet, les pressions en faveur de la clôture rapide des rappels sont fortes et s'ajoutent aux motivations des firmes pharmaceutiques. Mais à plus long terme, ces dernières veulent aussi diminuer le nombre et la gravité de leurs rappels produits. Cela suppose des investigations approfondies, de nouvelles solutions à imaginer et à déployer. Il y a un compromis à trouver pour se donner du temps.
Quels autres enseignements retenir de votre étude ?
A.Z. : Le fait d'avoir connu par le passé des rappels produits assez diversifiés ne fait pas gagner du temps dans le traitement des suivants. On pourrait croire que le laboratoire a acquis une riche expérience qui le rend plus efficace ; ce n'est pas le cas.
Autre résultat frappant : les firmes qui ont subi des rappels produits assez graves voient leur nombre de rappels augmenter par la suite ! Peut-être parce que les acteurs de terrain ont tendance à se protéger, plutôt qu'à assumer leurs responsabilités et à partager leurs informations… Mais ce n'est qu'une hypothèse, et l'étude n'avait pas pour objectif de la valider.