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Gérer le deuil et la compassion dans le milieu professionnel

Gérer le deuil et la compassion dans le milieu professionnel
Publié le
18 Novembre 2019

Le décès d’un collaborateur dans le monde professionnel crée une situation émotionnelle délicate, dans laquelle collaborateurs et managers doivent se réunir pour faire face au deuil. Des recherches récentes sur le management compassionnel éclairent la gestion du deuil dans le monde du travail.

Comment les dirigeants devraient-ils réagir face à la perte d’un employé ? Comment peuvent-ils offrir un soutien aux membres de l’équipe en deuil ? Qui est responsable de fournir ce soutien et que se passe-t-il s’il n’est pas interprété comme un soutien ? 

Amanda Peticca-Harris est professeure agrégée au département Homme, Organisations et Société de Grenoble École de Management. Sa récente étude, intitulée Managing Compassionately : Managerial narratives about grief and compassion, a exploré la question de la compassion en milieu professionnel, suite à la perte d’un employé dans un restaurant de renom à Toronto, au Canada. La recherche se fonde sur une approche narrative via des entretiens avec des managers, et sur l’analyse d’Amanda Peticca-Harris. À l’époque, elle était directrice des opérations et des personnes pour le groupe de restauration. À la suite du décès inattendu d’un collègue et ami, les managers et les employés ont dû composer avec la souffrance dans une industrie qui exige généralement que le personnel « laisse ses problèmes à la porte ».  

Le processus de gestion du deuil 

La recherche d’Amanda Peticca-Harris met en évidence trois phases clés du processus de gestion du deuil : (1) « Recevoir la nouvelle », (2) « Le spectacle doit continuer » et (3) « Les supports de contention ». La première étape explique la façon, souvent confuse et imprécise, dont l’entreprise a communiqué la nouvelle du décès de l’employé à d’autres employés. La deuxième étape explique le processus par lequel les managers ont tenté de continuer à travailler comme d’habitude pour aider l’équipe à passer à autre chose. Enfin, la troisième phase souligne que la poursuite du travail habituel a entraîné de fortes réactions négatives de la part des employés du restaurant. « En tant que managers, nous savions que c’était de notre ressort de gérer le processus de deuil. Cependant, savoir comment adopter une gestion compatissante était parfois ambigu et imprécis », explique Amanda Peticca-Harris. 

L’importance d’exprimer des émotions négatives 

La conclusion fondamentale de la recherche d’Amanda Peticca-Harris est l’exigence que la souffrance soit exprimée et entendue. « Les récits des managers mettent en évidence les hauts et les bas de la direction, qui souffre en ne détenant pas les ressources, les compétences ou l’information nécessaires pour savoir comment réagir efficacement », poursuit Amanda. « La première étape du processus de compassion consiste à identifier la douleur à la suite d’un événement déclencheur. » Malheureusement, la capacité à exprimer, et donc à identifier la souffrance est souvent limitée dans le monde du travail – surtout dans le contexte du « service avec un sourire » propre à l’industrie de la restauration. « Dans le contexte émotionnel très épuré du service de restauration, les émotions négatives comme le deuil, la tristesse, la colère ou la frustration ne font pas partie des « règles de sentiment » acceptables. » 

Sans la liberté d’exprimer des émotions négatives, la chercheure explique que les managers hors site ont été lents à réaliser l’impact que le processus de deuil a eu sur les employés. « L’événement qui les a informés de la souffrance sur place n’était pas le décès de l’employé, mais plutôt la colère et le ressentiment des employés après l’événement. » De plus, l’absence relative de relation entre les managers hors site et les membres de l’équipe sur place a ralenti les délais de réponse, et créé une situation dans laquelle les gestionnaires hors site ne se sentaient pas légitimes dans l’expression de compassion. 

La préparation du processus 

Plusieurs lignes directrices peuvent aider les managers à composer avec le processus de deuil des employés. « Bien qu’il n’existe pas de solution universelle pour gérer le deuil dans le monde du travail, il existe plusieurs recommandations qui peuvent servir de base pour reconnaître la souffrance et faire preuve d’empathie envers les managers et les membres de l’équipe, » souligne Amanda Peticca-Harris. 

  • Comprendre les « règles du sentiment » 
    « Gérer avec compassion exige que les managers remarquent la douleur afin de réagir avec empathie. Cela peut être un défi si les gestionnaires sont hors site ou en télétravail. Les industries de services ont le défi supplémentaire d’un travail émotionnel intense : les employés doivent assurer le service avec un sourire, peu importe leur état émotionnel intérieur. Pour surmonter ces défis, les managers devraient identifier les « règles de sentiment » qui dominent le milieu de travail et essayer de comprendre comment le deuil peut être exprimé. De plus, les managers devraient essayer d’être présents, même s’ils ne sont pas habituellement sur place. » 
  • Réduire l’incertitude :
    « L’incertitude joue un rôle crucial dans le processus de compassion. Les managers peuvent tenter de faire preuve de compassion, mais l’incompréhension peut amener les membres de l’équipe à ressentir de la colère, du ressentiment ou de la frustration plutôt que du soutien. Accroître la communication est la seule solution dans ces périodes difficiles. » 
  • Soutenir les cadres intermédiaires :
    « On s’attend à ce qu’une équipe ou un directeur de succursale soit un leader et sache quoi faire. Cependant, cette étude a mis en évidence qu’un manager pourrait avoir un double rôle de « leader » dans le processus de deuil de l’équipe et « d’employé en deuil ». Il est essentiel que les dirigeants, dans une telle situation, reçoivent l’appui et la reconnaissance de la haute direction. » 
  • Permettre le temps personnel : 
    « La recherche laisse entendre que les membres de l’équipe en deuil peuvent ou non avoir besoin de s’absenter du travail. Dans des activités tel que l’accueil, le congé non rémunéré n’est peut-être pas une solution viable sur le plan financier pour les employés. La direction devrait envisager des horaires flexibles et des congés payés pour s’assurer que les employés ont le soutien émotionnel et financier dont ils ont besoin. »   

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