Vous êtes ici

Ethique en affaires : une seule question de psychologie individuelle ?

Gazi Islam, chercheur à Grenoble Ecole de Management
Publié le
13 Septembre 2021

Gazi Islam est enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management. Il est l’instigateur d’une nouvelle section de recherche portant sur la psychologie et l’éthique des affaires dans la revue internationale de référence Journal of Business Ethics. Il pointe l’importance du contexte et de la structure sociale, économique, politique et culturelle dans la prise de décision éthique au plan individuel. Entretien.

Quelle est la genèse de votre travail ?

Journal of Business Ethics comportait une section de recherche, portant sur les comportements organisationnels et l'éthique comportementale. Les éditeurs en chef de la revue scientifique ont décidé d'ouvrir une nouvelle section, axée sur la psychologie et l'éthique des affaires, en compilant différents travaux de recherche dans le champ de la psychologie sociale. Dans ce cadre, j'ai eu la mission de rédiger un essai théorique, qui pose le postulat suivant : les composantes psychologiques individuelles sont indissociables du contexte économique et de la structure sociale dans le domaine de l'éthique des affaires.

Vous défendez l'idée qu'en matière d'éthique professionnelle, les facteurs socio-économiques et organisationnels comptent tout autant que la psychologie d'un individu ?

De nombreux traits psychologiques individuels favorisent ou pas la prise de décision éthique. Toutefois, il est impératif d'aller au-delà des études de personnalités et d'analyser quels sont les contextes, les situations, les processus… qui favorisent l'émergence de traits psychologiques tels que le narcissisme, la psychopathie, l'empathie… dans les organisations.

Mon objectif, en tant qu'éditeur, a consisté à corriger une tendance de la littérature en psychologie, qui focalise sur les seuls facteurs individuels en matière d'éthique des affaires. Mon travail a permis de situer le processus psychologique des individus, en l'intégrant à un groupe, un contexte culturel, économique, politique… L'idée est donc de ne plus focaliser sur les processus intrapsychiques des personnes, mais de mesurer l'importance de la structure sociale qui conditionne les comportements individuels.

L'enjeu est bien de faire coexister les tensions  et de les gérer de sorte qu'elles génèrent des nouvelles idées d'organisation sociale.

Ce travail de synthèse crée ainsi une « intersection » combinant l'analyse des composantes contextuelles et des traits de caractères individuels. Cette nouvelle section dédiée à la psychologie et l'éthique des affaires, redirige l'attention vers des arguments qui sont tout aussi importants que les composantes psychologiques individuelles. Ces éléments d'analyse pourraient permettre d'éviter les dilemmes éthiques et les prises de décisions difficiles, simplement en modifiant le contexte organisationnel.

Au vu de votre travail de synthèse, pouvez-vous formuler des préconisations aux entreprises permettant de favoriser la prise de décision éthique ?

Le premier enjeu est de privilégier un management social, au-delà de l'analyse individuelle. Par exemple, il est essentiel de combiner le recrutement de collaborateurs au profil a priori plus éthique, et de revoir, dans le même temps, les processus organisationnels afin de ne pas acculer les individus dans des situations impossibles et des dilemmes insolubles. Le postulat est donc de changer l'organisation.

En termes de management, la question est de savoir comment diviser et répartir les tâches pour que le travail conserve un sens. L'objectif est donc de s'interroger sur « comment », « pourquoi », et « quand » les managers et les collaborateurs sont mis dans des situations intenables ne leur permettant pas d'agir en accord avec leurs valeurs. Un exemple ? A l'hôpital, l'administration doit laisser une marge de manœuvre suffisante aux médecins pour le plein exercice de leur mission. A la lumière de la crise sanitaire notamment, les médecins, et l'ensemble du personnel soignant, ont fait la démonstration d'une capacité d'organisation collective efficiente du travail en situation de tension extrême. Un autre exemple, la RSE ne doit plus être perçue comme allant à l'encontre du profit et de la rentabilité financière. L'enjeu est bien de faire coexister les tensions  et de les gérer de sorte qu'elles génèrent des nouvelles idées d'organisation sociale.

En résumé, l'objectif de mon travail est de diminuer le plus possible la charge individuelle dans la prise de décision éthique. Une bonne organisation doit pouvoir réduire la pression individuelle au profit de décisions éthiques.

Lire l'article

Cela pourrait vous intéresser