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Energie : la régulation des prix décourage la concurrence

Energie. La régulation des prix décourage la concurrence
Publié le
20 Octobre 2019

En Europe, l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence suscite majoritairement l’inertie du côté des clients. C’est le cas en France, en Espagne, en Pologne et en Roumanie. Alors même que le jeu de la concurrence opère dans d’autres nations européennes. Une étude européenne inédite pointe les facteurs propices et dissuasifs au changement de fournisseurs… ou de contrats.

Cette étude, à grande échelle, soutenue par des fonds européens, a été réalisée par Joachim Schleich, enseignant-chercheur en management technologique et de l’innovation à Grenoble Ecole de Management, Corinne Faure, enseignante-chercheure en marketing à Grenoble Ecole de Management, et Xavier Gassmann, enseignant-chercheur en marketing à l’école de commerce de Bourgogne.

Entretien avec Corinne Faure

Votre recherche s’inscrit dans le contexte de l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence. Quel est son apport principal ?

En 1996, la directive européenne a initié la libéralisation des marchés de l’énergie, en particulier du marché de l’électricité, avec pour objectif de générer plus de concurrence, plus de choix et des prix plus attractifs pour les consommateurs. De nombreuses études ont été réalisées sur l’aptitude des clients à changer de fournisseurs d’électricité. Toutes ont pointé l’inertie des clients, qui craignent de changer de fournisseurs.

Notre recherche a porté sur la variable du contrat qui unit le client au fournisseur. Elle établit la comparaison entre trois types de profils – l’absence de changement, le changement de contrat chez un même fournisseur (changement interne) et le changement de fournisseur (changement externe). Les recherches précédentes amalgamaient les non changements et les changements internes, sans observer la variable contractuelle. C’est là le principal apport de notre recherche.

Votre étude comparative est inédite en Europe. Huit nations – l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, le Royaume Uni et la Suède – ont été analysées. Pouvez-vous en détailler les modalités ?

Cette étude a été réalisée à partir de données collectées dans huit nations européennes, durant l’été 2016 – soit 20 ans après la directive européenne de 1996. Elle a posé la question des changements de contrats sur les 10 années précédentes. Ces huit pays représentent environ 80% de la consommation d’électricité dans l’Union Européenne.

13 000 répondants ont participé à l’enquête ; soit un échantillon représentatif d’un peu moins de 2 000 répondants par pays. Nous avons analysé quelles sont les motivations ou les freins au changement de contrat et/ou de fournisseur, dont l’aptitude à la prise de risque lié au changement. Nous avons également recueilli beaucoup d’informations sur la composition des foyers, le niveau d’éducation, de revenus, s’il s’agissait d’un bail de location ou d’un propriétaire, et si le changement avait lieu dans le cadre d’un déménagement ou pas.

Quelles sont donc les principales tendances qui se dégagent du côté des clients ?

Pour ce qui concerne les motivations qui conduisent au changement, en général : des avantages financiers, un niveau d’éducation et des revenus élevés, la préoccupation environnementale, un déménagement… mais aussi la variété de fournisseurs, le prix de l’électricité, la tendance à prendre des risques… invitent au changement. Notons que les personnes à faibles revenus ont tendance à ne pas changer de fournisseur. De même, les locataires changent moins, faisant preuve de plus d’inertie que les propriétaires.

Pour ce qui concerne les changements externes, les résultats nous ont surpris : les personnes peu enclines à prendre des risques tendent pourtant à changer de fournisseur. Parmi les facteurs explicatifs, c’est souvent l’argument du prix garanti pendant 2 ans qui prime. Ce qui limite effectivement la prise de risque.

Pour ce qui concerne les changements internes – lorsqu’il existe un changement de contrat chez un même fournisseur – les motivations environnementales s’avèrent déterminantes, sans doute afin d’opter pour une énergie plus « verte ». Ce point doit être confirmé lors d’une prochaine étude.

Au vu de ces résultats, quelles sont vos préconisations ?

Pour les fournisseurs établis, comme EDF, en France, l’une des recommandations est d’offrir une plus grande variété de contrats, en particuliers des contrats liés à l’énergie verte, ceci afin d’inciter les clients motivés par l’environnement à changer de contrat, en restant avec un même fournisseur. EDF n’a pas d’enjeu à se démarquer sur les prix, compte tenu de ses performances tarifaires en Europe : 16 cents/KWh.

Pour les nouveaux entrants, l’enjeu est bien de se démarquer par le prix en rassurant les clients potentiels dans la durée. Selon nos résultats, ces derniers n’iront pas vers Enercoop par exemple, la coopérative néerlandaise, leader européen de l’énergie verte. ENI par contre s’illustre sur le marché français, en proposant des contrats 3 % moins chers que le tarif règlementé, ainsi que des contrats intégrant des prix garantis trois ans – sauf si le prix est à la baisse. D’après notre étude, c’est une bonne stratégie.

Le pourcentage de changements chez un même fournisseur est dans la moyenne

« Comme on le voit sur la figure, on observe très peu de changements de fournisseurs. La France est au même niveau que la Roumanie, la Pologne et l’Espagne. Trois autres pays qui ont aussi un marché dont les prix sont régulés. Le pourcentage de changements chez un même fournisseur est dans la moyenne. Les résultats confirment que les marchés où les prix sont bas (régulés comme en France, le plus bas niveau en Europe), et où la concentration des fournisseurs est forte, limitent la propension aux changements. D’où l’importance des facteurs structurels. Les prix maintenus artificiellement bas (prix régulés) découragent la concurrence. En matière de politique publique, la régulation des prix entrave la mise en place d’un marché concurrentiel. L’exemple de la Suède et du Royaume-Uni (même prix qu’en France) montre que les prix peuvent rester bas même s’ils ne sont pas régulés. Ce sont les effets directement induits par la concurrence, » conclut Corinne Faure.

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