
En 2017, la réduction des écarts de rémunération hommes-femmes a connu un coup d'arrêt au plan mondial. Si l’obligation de transparence semble insuffisante pour pallier les disparités salariales entre les hommes et les femmes, les études récentes pointent l’importance de l’arbitrage interne aux couples dans la répartition des tâches, qui permettrait d’assurer une meilleure parité hommes-femmes dans la sphère professionnelle.
Entretien avec Mark Smith, professeur de management des ressources humaines, et doyen du corps professoral à Grenoble Ecole de Management.
Où en est-on en matière de parité salariale en Europe et dans le monde ?
Depuis les lois des années 1970, les avancées sont notables en matière d’égalités des droits entre les hommes et les femmes, mais restent insuffisantes pour ce qui concerne les disparités salariales. À partir de la première semaine de novembre, on peut considérer que les femmes, en France, travaillent « gratuitement » si l’on se réfère aux écarts des revenus moyens entre les deux sexes, qui représentent l’équivalent de la paie des deux derniers mois de l’année. Pire, au niveau planétaire, le Forum économique mondial a relevé dans son dernier rapport annuel que l’année 2017 « marque un coup d’arrêt après une décennie de progrès lents mais constants » en matière de réduction des écarts de rémunération hommes-femmes.
Quels constats généraux posez-vous ?
D'une manière générale, un constat s'impose : dès qu'un écart se réduit à un endroit, il s'accroît ailleurs. Pour ce qui concerne les carrières scientifiques et techniques, l'accès des femmes à certaines professions reste extrêmement limité, comme les métiers de data scientists ou les disciplines mathématiques. De même, au sein des Grandes écoles, la présence féminine est forte, mais la valorisation des MBA reste plutôt le fait des hommes, car elle passe par une cooptation masculine. Parallèlement, des clichés persistent. En témoigne l'arrivée des femmes dans certaines professions, ce qui aboutit souvent à leur dévalorisation, comme l'enseignement, certain domaines de médecine... Enfin, certains corps de métier restent plus conservateurs que d'autres : la politique, l'armée…
Que relève votre recherche sur l’obligation de transparence sur les écarts salariaux ?
L'une de nos recherches a porté sur les bonnes pratiques déployées par les entreprises, dont la politique de RSE consiste à réduire l'écart salarial entre les deux sexes. Nous avons étudié l'impact de la publication des écarts salariaux en Belgique, en France, en Suède, en Allemagne… Cette politique de transparence aboutit à la réduction des écarts de salaires plutôt pour les femmes et pour les hommes dans la même organisation. Notre conclusion générale est la suivante : l'obligation de transparence focalise et met en lumière ces écarts salariaux, mais ne suffit pas à y remédier pour toutes les catégories sociaux-professionnelles.
Cela signifie-t-il que la voie législative est insuffisante ?
Il n’est pas aisé d’évaluer la portée exacte de ces mesures, mais il est certain que ces nouvelles obligations légales ont permis de faire évoluer les mentalités. L’exemple probant de la Suède, où la loi existe depuis plus longtemps, montre que les employeurs voient désormais d’un bon œil les changements qu’ils sont obligés d’apporter. De la même façon, le cas de l’Islande suggère qu’une pression législative audacieuse, accompagnée de structures de soutien adaptées aux employeurs, pourrait bien être la voie du changement. En France, la situation semble également s’être améliorée depuis la mise en place de la loi Copé-Zimmerman, votée en 2011, qui prévoit l’instauration de quotas dans les conseils d’administration des grandes entreprises.
Votre étude récente pointe d’autres leviers inhérents à la sphère personnelle, qui pourraient accroître l’égalité hommes-femmes au plan professionnel…
Jusque-là, les études relevaient les interactions entre les carrières au sein du couple. Il s’avère que ces interactions ne sont pas figées car elles touchent des dynamiques internes de pouvoir au sein des couples. Dans de nombreux pays, les femmes représentent désormais environ la moitié de la population active et les mères qui travaillent deviennent la norme. Pourtant, les femmes avec enfants modifient fréquemment leur emploi du temps, ce qui est souvent mis sur le compte de l’immuabilité de la division genrée du travail non rémunéré dans le foyer : les femmes réalisent ainsi plus de tâches dans la sphère familiale que les hommes.
Quelles sont vos préconisations ?
Pour réduire les écarts salariaux hommes-femmes dans les métiers très qualifiés (ingénieurs…), il faut travailler sur plusieurs axes. Le premier vise à responsabiliser les entreprises et l’Etat sur le rôle de régulation qu’ils ont à jouer. Le second, déterminant, est de sensibiliser et d’inciter les individus à la prise de responsabilité dans la sphère privée. L’enjeu au sein du couple est bien de travailler en équipe, en partageant réellement les rôles dans le foyer, pour devenir ainsi les principaux acteurs du changement.
Les femmes ont là un rôle clé à jouer qui consiste à réfléchir à l’impact de leurs décisions professionnelles, et à encourager leurs partenaires masculins à adapter leur comportement aux réalités des couples à double carrière, et non plus aux standards des générations précédentes.
Quel devrait être l’impact du mouvement Me Too sur l’égalité hommes-femmes ?
Le mouvement Me Too a légitimé la prise de parole des femmes, en dénonçant le harcèlement sexuel au travail. Ce mouvement a déclenché un changement de normes. Déjà, les blagues sexistes et homophobes ne sont plus acceptables. Mais pour aller plus loin, l’égalité hommes-femmes devrait devenir un axe stratégique des prochaines années au sein des entreprises.
WoMen@GEM travaille à plus de parité dès la formation
S’employer, dès la formation, à ce que les étudiantes à Grenoble Ecole de Management se positionnent comme les égales des étudiants, constitue la ligne directrice du réseau WoMen@GEM.
En 2017, Susan Nallet, directrice carrières et relations employeurs, et Mark Smith, enseignant-chercheur et doyen du corps professoral à GEM, ont été mandatés par le COMEX de GEM pour initier le projet WoMen@GEM. L’ambition du réseau est de travailler sur le terrain, au sein de l'école, à la parité hommes-femmes chez les étudiant(e)s et futurs managers, mais aussi, de sensibiliser les entreprises partenaires et la gouvernance de GEM à cette problématique.
Eveiller les consciences sur les postures « genrées » de chacun(e) ; rompre avec les représentations culturelles sur les choix d'orientation ; susciter les vocations dans les filières dites techniques… et aider les entreprises à atteindre leurs objectifs de parité, tels sont les objectifs visés par le réseau WoMen@GEM. « Fondamentalement, l’initiative consiste à créer à GEM un environnement propice qui permet l'émergence de projets paritaires dans le champ de la formation, de l'emploi, de la recherche… » note Susan Nallet. A terme, l'idée est de positionner Grenoble Ecole de Management comme un standard international en matière de parité au sein des business schools
Pour en savoir plus
L'obligation de transparence reste insuffisante pour réduire les inégalités salariales hommes-femmes