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Covid-19 : « L’enjeu est de remettre la société à l’endroit »

Publié le
12 Mai 2020

Dès décembre 2019, Grenoble École de Management s’est mobilisée afin d’affronter une crise sanitaire sans précédent. Son leitmotiv ? Etre une école et un employeur responsable et solidaire, en préservant l’intégrité physique des apprenants et de l’ensemble des collaborateurs. A l’heure de la continuité pédagogique en ligne, comment se dessine la nouvelle donne économique et sociétale, défendue par GEM ?

Entretien avec Loïck Roche, directeur général de Grenoble École de Management.

72 heures avant les directives gouvernementales, visant l'instauration des mesures de confinement à l'échelle nationale, Grenoble École de Management a pris deux décisions, coup sur coup : l'arrêt des enseignements en face à face et l'arrêt du travail en présentiel pour les collaborateurs de l'école. Quelle a été votre lecture de la crise du Covid-19 ?

Fin décembre 2019, et début janvier, en tant qu'École internationale, Grenoble École de Management a été confrontée aux premières remontées d'étudiants en échange en Asie, ou sur nos sites à Singapour, qui ont commencé à s'inquiéter. En février, l'École a interdit les déplacements vers la Chine pour ses étudiants et collaborateurs, et a demandé à l'ensemble de ses collaborateurs et étudiants sur place de revenir dans leur pays d'origine.

Début mars, nous avons mis en place une cellule de crise. Celle-ci s'est réunie chaque jour. C'est dans ce cadre – pour assurer ce qui sera toujours la priorité numéro un d'une école, qui est la sécurité et la santé des étudiants et des collaborateurs –, que nous avons décidé de fermer l'ensemble de nos sites. Cette décision anticipée de fermeture de l'école s'est traduite par la bascule à 100 % du travail à distance. Pour le management, l'organisation, les activités et les enseignements. Cette mesure, prise bien en amont des directives du gouvernement, a très certainement permis de limiter la propagation du virus au sein de nos établissements où sont accueillies, chaque jour, plus de 5 000 personnes.

Depuis lors, qu'est-ce qui a changé pour l'ensemble des acteurs en présence ?

Pour les activités d'enseignement, peu de choses en réalité. La bascule a permis de mettre en place 100 % des enseignements en ligne. Les enseignants, comme les étudiants de Grenoble École de Management, sont le plus souvent rôdés à l'enseignement à distance. À l'exception d'une minorité d'entre eux, pour laquelle, et c'est bien normal, cette situation peut s'avérer extrêmement anxiogène. En effet, et contrairement à ce qui est dit, nous ne sommes pas en situation de télétravail au sens classique du terme. C'est-à-dire, pour faire simple, choisi. Nous sommes en situation de télétravail sous contrainte, sous confinement, ce qui peut engendrer une véritable agression psychologique. Cela n'a donc rien à voir.

Il est essentiel de mieux entendre ce qui se joue actuellement, car il n'y aura pas de retour à la normale

L'impact le plus conséquent concerne nos activités avec les entreprises. Parce que beaucoup d'entreprises souffrent, et même terriblement, nous en subissons tous les contrecoups. Pour donner un seul exemple, c'est toute l'activité de formation continue, extrêmement conséquente à GEM, qui s'est retrouvée quasi-stoppée net du jour au lendemain. Et si l'École a montré toute son agilité, toute sa solidité, il va de soi que nous ne sommes pas insubmersibles. Aussi, nous partageons aujourd'hui avec les entreprises, au-delà de toutes nos proximités, un même enjeu : repartir avec elles, et dès que possible, sur la base d'un New Deal, dont nous souhaitons d'ailleurs qu'il soit co-construit avec elles.

« Il est essentiel de mieux entendre ce qui se joue actuellement, car il n'y aura pas de retour à la normale », prédisez-vous. Quels seront les axes du changement pour GEM ?

Cette crise sanitaire mondiale, d'une très grande violence, est le révélateur de la fin d'un monde. Les dirigeants, les acteurs de la planète vivaient dans l'illusion de la toute-puissance de la mondialisation, des échanges débridés à tous crins... Le monde tournait à l'envers. L'enjeu aujourd'hui est de le remettre à l'endroit.

Pour ce qui est de GEM, jamais, me semble-t-il, notre positionnement – l'innovation et le management technologique, notre articulation à notre territoire et écosystème, notre volonté affichée, dès 2013, d'évoluer d'une business school à une school for business for society –, n'ont été aussi pertinents.

Pour autant, nous devons aller plus loin. Nous devons être les promoteurs de ce que j'appelle une « écologie humaine » : une ouverture pour penser de façon radicalement différente les relations entre les États, entre les entreprises, entre les personnes, Ouverture, sur ces fondements, à agir avec une réelle efficacité sur l'environnement, le réchauffement climatique et le vivant sous toutes ses formes.

Cela veut dire aussi que nous devons comprendre qu'il n'y a pas de grandes écoles en soi. Ça, c'est l'ancien monde. Dans le monde à inventer, bien plus qu'à réinventer – car réinventer c'est toujours en bout de course, refaire du même – il y a aura des écoles qui sauront se montrer grandes. Celles qui auront compris, qu'elles doivent aller au-delà de leur mission. Au-delà de la formation et de la recherche. Qu'elles doivent s'emparer des grandes questions du XXIe siècle, dont je pense qu'il ne commence en réalité qu'aujourd'hui.

Comment devrait s'organiser la vie de l'école ces prochains mois ?

Notre stratégie depuis le début de la crise est extrêmement claire. Décider et agir pour poser des certitudes dans un environnement extrêmement douloureux et plein d'incertitudes.

Nous nous préparons à une rentrée qui pourrait être à 100 % à distance. Si les choses s'arrangent d'ici-là, il sera très facile de rebasculer le management, l'organisation, les activités, les enseignements, en présentiel.

Surtout, nous travaillons d'arrache-pied pour, déjà, tirer tous les enseignements de la crise que nous vivons. Dans le même temps, nous travaillons, d'une part, pour garantir aux étudiants les meilleurs appuis, le meilleur accompagnement, les meilleurs enseignements ; et d'autre part, pour être un acteur engagé aux côtés des entreprises. Enfin, parce que nous voulons être une partie de la solution aux défis posés par la crise, nous travaillons à prendre le plus grand soin de GEM ; ce qui veut dire prendre le plus grand soin des collaborateurs, condition première pour prendre grand soin de l'ensemble de nos parties prenantes.

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