
Différents vaccins ont été mis au point en un temps record pour lutter contre la propagation de la pandémie Covid-19. Parmi ceux-ci, le vaccin Pfizer/BioNTech, élaboré à partir de la technologie de l’ARN messager, développée voici 15 ans par la biochimiste Katalin Kariko. Pourtant, un Français sur deux prévoit de ne pas se faire vacciner. Pourquoi ?
Entretien avec Charles-Clemens Rüling, directeur de la Recherche de Grenoble Ecole de Management, professeur en théorie des organisations et responsable de la Chaire de recherche "Public Trust in Health".
Que reflète selon vous la défiance des Français à l'égard des vaccins ?
La France est un pays divisé vis-à-vis des sciences et de la médecine, avec une très forte confiance dans le progrès scientifique et l'évolution de la médecine d'un côté, et une méfiance grandissante vis-à-vis de la place des experts et de la médecine classique de l'autre.
Lorsqu'on regarde la question des vaccins, ceci se complique encore, car le secteur pharmaceutique est assez peu connu et ses mécanismes difficiles à appréhender. Ce qui favorise – notamment au regard de la rentabilité élevée des sociétés pharmaceutiques –, le sentiment répandu d'intérêts cachés, voire de complots autour de l'économie du médicament et du vaccin.
Contrairement aux médicaments, les vaccins sont administrés à des personnes en bonne santé. Le fait de se faire vacciner par un agent pathogène crée un sentiment de vulnérabilité chez les individus qui peut se traduire par de la défiance.
Cette défiance à l'égard des vaccins n'est pas nouvelle, elle existe en France depuis les toutes premières vaccinations contre la variole au début du XIXème siècle.
Elle a en revanche fortement augmentée vers la fin des années 1990 en lien avec la controverse sur la vaccination contre l'hépatite B en France. L'arrêt, en 1998, des campagnes scolaires de vaccination tout en continuant à recommander la vaccination individuelle, a accentué la défiance autour du vaccin, en mettant en tension décisions individuelles et logique collective – une tension qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
Comment les autorités sanitaires dans leur ensemble – le gouvernement, les ARS, les laboratoires pharmaceutiques, les médecins… – peuvent-ils gagner la confiance de la population réfractaire dans le cadre d'une stratégie visant l'immunité collective ?
La défiance se construit à partir des expériences du passé. Il s'agit donc, dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, de savoir gérer les messages transmis aux Français et cela implique la nécessité d'être transparent. Car le principal problème est que la confiance se détruit très facilement.
La confiance s'instaure dans le cadre d'une relation, liée à une problématique concrète. Elle se fonde sur la perception des faits et sur leur interprétation. Dans les faits, la confiance s'établit dans la durée, à partir d'une triple conviction : la compétence de l'interlocuteur ; l'intégrité et le fait d'être bien intentionné. Du coup, la compétence requiert aussi d'admettre que l'on s'est parfois trompé. C'est le cas notamment pour ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire à ses débuts. Aujourd'hui, par exemple, la compétence d'Olivier Véran au regard des questions de santé semble un fait acquis : c'est un médecin hospitalier, qui connaît la pression inhérente au travail dans les services de soin intensifs. La recherche d'intégrité, quant à elle, se traduit par la nécessité de rendre transparents les contrats passés avec les laboratoires et les liens avec les autorités de santé. La bonne intention s'exprime, enfin, à travers le fait d'être perçu comme agissant dans l'intérêt des personnes ciblées par les mesures de santé publique.
Que dire de l'instrumentalisation qui est faite de la gestion de la pandémie et des tentatives de récupération ?
L'écart entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, ce que les économistes appellent la « tragédie des communs », se trouve au centre de la gestion de cette pandémie. Pour les gouvernements, il s'avère en effet très difficile de concilier l'intérêt individuel et l'intérêt général, en termes de santé publique.
L'expérience de la pandémie et de l'incertitude a plutôt tendance à renforcer les clivages dans la société. Chacun interprète les mesures gouvernementales dans une logique qui lui est propre. Ce qui se traduit soit par un sentiment de compétence ou d'incompétence. Même s'il est facile de pointer l'absurdité et les contradictions de certaines règles. Aujourd'hui, la mission des politiques est de tenir le cap en gardant en ligne de mire l'intérêt collectif et la santé publique.