
La généralisation du télétravail ces derniers mois et, sans doute, sa pérennisation, laisse augurer de profonds bouleversements dans la façon de constituer et de nourrir son réseau professionnel – en particulier pour les jeunes recrues ou dans le cadre d’un nouvel emploi. Dans ce contexte inédit, comment entretenir des relations favorables à sa trajectoire professionnelle ?
« Le réseau de relations personnelles d'un salarié tient un rôle prépondérant, car il contribue de manière variée à sa trajectoire professionnelle. Ce réseau se compose de collègues, de collaborateurs d'autres entreprises (anciens collègues, personnes travaillant chez des clients), ou tout simplement des amis et de la famille. Tous peuvent délivrer quelque chose : des conseils sur les choix professionnels, des informations sur des opportunités, ou encore, dans le cas de relations qui ont une certaine influence, l'attribution de missions enrichissantes ou du soutien pour une promotion. Ce sont aussi des sources de soutien émotionnel, permettant de faire face aux situations difficiles, de rendre le travail plus agréable, voire d'aider à « oublier » un peu le travail, et in fine réduire le stress professionnel », expose en préambule Barthelemy Chollet, professeur au département Management Technologie Stratégie de Grenoble Ecole de Management, spécialiste des réseaux interpersonnels.
Toutefois, souligne-t-il : « Nous surestimons souvent notre capacité à créer soi-même ce réseau. Car, c'est essentiellement le contexte dans lequel on évolue qui détermine la plupart de nos relations. C'est ainsi que la formation de nos relations est influencée par deux grands principes :
- La transitivité (les amis de mes amis deviennent mes amis) : on rencontre beaucoup de gens en étant introduits par d'autres ;
- L'homophilie (qui se ressemble s'assemble) : on crée plus facilement des liens avec les gens avec qui on a quelque chose en commun. »
Les effets du travail à distance sur les relations interpersonnelles
Ces deux principes fondamentaux, qui permettent le renouvellement des relations, sont entravés en situation de travail à distance. Pourquoi ?
La transitivité : c'est souvent en rencontrant fortuitement, dans les couloirs, au café… quelqu'un qu'on connaît, qu'on se fait présenter à une tierce personne qu'on ne connaissait pas avant. Le travail à distance rend ces situations beaucoup plus rares et/ou artificielles.
L'homophilie : pour se rendre compte que l'on partage quelque chose avec une personne inconnue, et construire un début de relation, il faut un minimum de discussion informelle, des « small talks » qui ne concernent pas la tâche en cours mais des sujets plus personnels. Et, nous savons que ce type de discussion existe beaucoup moins à distance.
Ces circonstances sont particulièrement pénalisantes pour les jeunes démarrant leur activité professionnelle, ou pour une nouvelle recrue.
Les managers ont un rôle clé à jouer
« Les managers doivent être très vigilants vis-à-vis de ces catégories de personnes et les aider à construire leur réseau, relève Barthelemy Chollet.
- Idéalement, les nouvelles recrues doivent moins travailler à distance que les autres.
- Si le présentiel ne peut pas être régulier, il faut essayer de mettre ces nouveaux venus sur des missions variées. Par le jeu des projets et des réunions de travail, ces collaborateurs renouvelleront leurs relations, malgré la distance, en même temps qu'ils renouvelleront leurs missions
- Si le présentiel ne peut pas être régulier, il faut être vigilant à ce que le travail se fasse au moins en partie par le biais de réunions synchrones. La présence au bureau nous permet d'avoir des contacts synchrones (deux personnes interagissant en même temps). En situation de travail à distance, on observe souvent une dérive vers l'asynchrone (échanges d'email, chat Teams etc.), qui, certes, permet une plus grande flexibilité, mais réduit considérablement la partie informelle des échanges et la possibilité d'établir des relations. C'est « l'unité de temps » (être ensemble au même moment) qui permet d'établir des relations plus que « l'unité de lieu » (être ensemble au même endroit). »
Quelles préconisations pour les collaborateurs ?
« L'enjeu, pour les collaboratrices/teurs est d'entretenir le réseau qui nous est naturellement délivré par les situations de travail et les expériences de la vie. Entretenir son réseau en prenant des nouvelles, en apportant des propositions, etc. permet de conserver et de consolider des relations. Cela permet de maintenir des options ouvertes et de préserver des relations dont, peut-être, nous ne voyons pas forcément l'utilité aujourd'hui, mais qui nous apporterons un jour, soutient Barthelemy Chollet.
Dans les faits, c'est ce que montrent les études sur le sujet : passer du temps à se demander avec qui établir de nouveaux liens génère moins de retombées pour la carrière que de passer du temps à se demander avec quelle personne le lien existant risque de se distendre, avec quelles personnes rencontrées dans notre parcours nous souhaitons maintenir une relation. Entretenir plutôt que de chercher à créer. Ce travail d'entretien du réseau peut se faire à distance bien plus facilement que celui de construire un réseau tout neuf. »
La digitalisation des rapports sociaux : une opportunité pour diversifier son réseau
« La digitalisation des relations sociales et l'émergence des réseaux sociaux offrent des possibilités nouvelles. A travers la création de multiples communautés d'experts, plus ou moins structurées, appartenant à diverses entreprises, articulées autour de réseaux sociaux comme Linkedin, par exemple, il est aujourd'hui possible de renouveler ses relations, de se connecter à des personnes d'horizons très variés. Il s'agira donc principalement de ce qu'on appelle des « liens faibles », c'est-à-dire des personnes qu'on connaît assez peu, mais qui évoluent généralement dans des sphères très différentes des nôtres, et donc nous donnent accès à des informations uniques et originales. Mais bien sûr ce type de lien ne suffit pas », conclut Barthelemy Chollet