
La reprise économique, en France et en Europe, dépend d’une politique de relocalisations stratégiques à moyen et long terme, et de l’issue des accords finaux du Brexit, estime Grégory Vanel, professeur d’économie internationale à Grenoble Ecole de Management. Analyse critique.
La reprise économique est conditionnée selon vous à des décisions structurantes à moyen et long terme. La relocalisation des activités liées aux marchés stratégiques, comme celui de la santé, semble déterminante. Pourquoi ?
En France, la santé est l'un des secteurs les plus compétitifs avec l'aéronautique et les spiritueux. La filière est portée par des entreprises technologiques à haute valeur ajoutée. Autre spécificité française, la santé se trouve au cœur du système social français. D'une part, en termes d'accès aux soins et, d'autre part, en termes d'accès aux traitements et aux médicaments. L'enjeu est donc de s'interroger sur ce qui fait, aujourd'hui, la valeur d'une entreprise sur le Vieux Continent…
Sanofi vient d'annoncer la suppression de 300 à 600 postes au sein de la R&D, en Europe – dont à terme son site de recherche à Strasbourg. Est-ce un indicateur favorable au maintien de la valeur sur le territoire ?
Ces décisions sont posées depuis longtemps. En 10 ans, la R&D a perdu 50 % de ses effectifs. Sanofi se trouve donc confrontée à un problème d'échelle et de taille critique pour conduire et mener à bien des projets de recherche ambitieux, comme un vaccin contre les Coronavirus. Au-delà, la France et l'Europe accusent une perte de valeur, car le capital ne joue pas le jeu du long terme.
Sanofi s'inscrit de fait dans une logique financière. La très forte pression de son actionnariat l'invite à faire des choix de rentabilité. Et, lorsqu'il y a une pression sur la rentabilité, on n'investit pas dans la connaissance. Il s'agit ainsi de ne plus investir dans des projets, dont les résultats restent aléatoires, et d'abandonner une partie de ses activités de recherche. Certes, la valeur de l'action va augmenter pour les actionnaires. En revanche, l'Europe va perdre des compétences et des capacités de production. Déjà, certaines molécules de base, comme le Paracétamol, générant moins de marge, sont produites en Asie alors que la valeur intrinsèque du produit est majeure.
L'enjeu porte donc bien sur la relocalisation d'une stratégie de recherche dans le domaine de la santé notamment…
Oui, c'est une vraie question de souveraineté européenne, notamment au vu de la population vieillissante. Mais il manque en effet un Etat entrepreneur, en France et en Europe. C'est pourquoi l'on peut affirmer qu'on a la conjoncture de sa structure. Les Etats-Unis, la Chine, la Corée du Sud… investissent massivement dans la recherche publique, et permettent ainsi un transfert d'expertise vers le privé. Ce sont des Etats entrepreneurs.
La question est de savoir pourquoi la France continue de confier ses activités de recherche et d'innovation au privé dans des domaines stratégiques. L'investissement public dans la santé est trop faible, et ne témoigne d'aucune stratégie au-delà de l'incitation financière, comme le crédit impôt recherche. Un nouvel arbitrage devrait être posé entre l'investissement à long terme et la rentabilité à court terme.
La reprise économique dépend aussi des accords finaux du Brexit, relevez-vous. Les accords a minima, conclus le 24 décembre dernier avec l'Union européenne, constituent-ils un terreau favorable pour les différents acteurs européens ?
Rien ne permet d'affirmer que nous reviendrons au trend d'activité précédent la crise Covid-19 ! A court terme, tout d'abord, de nombreuses filières de production sont désorganisées, ce qui génère des coûts supplémentaires et des erreurs. D'où une prudence des entreprises à l'embauche ou pour tisser de nouveaux partenariats. Cette désorganisation impacte ainsi le niveau d'investissement des entreprises et génère le risque d'une hausse des coûts de production des deux côtés de la Manche.
Cet accord de libre-échange est construit sur le modèle du Ceta, conclu entre l'UE et le Canada. Il porte essentiellement sur les échanges de marchandises, pour lesquels il exclut tout retour de droits de douane et quotas. Mais cet accord ne prévaudra que pour les exportations vers l'UE de produits composés d'un certain pourcentage minimum de pièces.
Par exemple, les voitures devront contenir au maximum 45 % de matériaux en provenance du Royaume-Uni ou de l'Union européenne pour accéder au marché européen (on parle de règles d'origine à ce propos). Les accords prévoient ainsi que les composants européens des produits exportés depuis le Royaume-Uni soient considérés comme « locaux » et puissent se cumuler avec ceux strictement britanniques.
A plus long terme, cet accord a minima reste confus, car tout n'a pas été réglé dans les négociations. L'accord ne tient pas compte, par exemple, du secteur de la finance, qui constitue 7 % de la valeur ajoutée au Royaume-Uni et 4,2 % de la main d'œuvre. Un accord plus précis devrait être conclu mi-2021. En attendant, on assiste au transfert de nombreuses activités de marché depuis Londres vers des places de marché européennes.
Concernant la pêche, l'accès aux eaux territoriales britanniques a été préservé, sous réserve que les pécheurs européens renoncent à 25 % des prises pêchées dans ces zones à horizon 2025.
Le contenu de cet accord crée de l'incertitude, pèse sur les décisions et remet en question la liberté de circulation, la fluidité des activités de production et de services, le transport routier et aérien… Et fragilise tous les programmes structurants, tels qu'Erasmus et Galileo. Les effets délétères du Brexit ne sont pas quantifiables… En 30, 40 ou 50 ans, ce seront 1,2 ou 3 points de PIB perdus ? Je ne suis pas optimiste.