
Les fêtes de fin d’année condensent bien des aspirations consuméristes, y compris chez les plus réfractaires aux achats compulsifs. En témoignent différentes études de consommation. Comment arbitrons-nous entre la volonté affichée d’acheter responsable et durable et l’offre pléthorique de biens de consommation à Noël ? Au-delà, comment les entreprises répondent-elles au courant émergent des achats éco-responsables ?
Entretien avec Aurélie Merle, professeure associée de marketing à Grenoble Ecole de Management, spécialisée dans le comportement du consommateur et le marketing durable.
Qu’est-ce qui caractérise un achat responsable ?
La consommation responsable intègre d’abord l’idée « d’acheter mieux », en portant un regard sur les conséquences sociétales et environnementales. Mais « consommer responsable » ne se résume pas à l’acte d’achat. La démarche intègre une réflexion sur le pré-achat et le post-achat.
Cela peut se traduire par le fait de ne pas acheter et/ou d’acheter moins, et par l’idée de s’interroger sur la consommation et l’achat comme moyens d’assouvir ses besoins. Sachant qu’il existe d’autres modalités de réponses, telles que le troc, la location … Consommer responsable intègre aussi le post-achat, qui suppose de s’interroger sur l’usage qui sera fait du produit, son gaspillage éventuel et sa fin de vie. Ainsi, outre l’impact sur sa consommation énergétique notamment, le produit sera-t-il réparable, recyclable…? La conclusion est que la responsabilité du consommateur va bien au-delà de l’achat d’un produit « éco-responsable ».
Pouvez-vous établir le « profil » des consommateurs responsables ?
Il est difficile de parler d’un profil de consommateur responsable, car il existe en réalité différents profils aux motivations et comportements variés. Ce qu’on sait est que leur nombre est en augmentation ; ce qui repose notamment sur le sentiment accru d’urgence écologique. Aujourd’hui, un cap est franchi : d’après le dernier baromètre de la consommation responsable Greenflex/Ademe, 73 % des Français considèrent qu’il faut agir. Mais la polarisation est forte entre deux courants : entre 10 et 15 % des Français sont éco-sceptiques, et affirment le refus de changer de comportement, et 10 à 15 % se revendiquent comme des acteurs et consommateurs très engagés. Il existe entre ces deux courants plusieurs profils de consommateurs qui adoptent des comportements éco-responsables selon les produits et les contextes de consommation.
Quels sont les facteurs discriminants entre les différents profils ?
L’enquête « Tendance de consommation » 2018 du Credoc relève essentiellement la sensibilité environnementale et la catégorie socio-professionnelle : les Français, dotés d’un fort capital économique, s’orientent nettement vers les produits éco-labellisés, mais ils ont dans le même temps un impact environnemental plus fort en lien avec leurs pratiques de mobilité.
Dans ce contexte, comment se profile donc l’achat éco-responsable à Noël ?
On note des évolutions de comportements, qui convergent avec la tendance générale. D’après une étude réalisée par Ipsos pour L’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations, 37 % des personnes affirment se préoccuper de plus en plus de la dimension éthique du repas de Noël, en optant pour l’achat de produits locaux, de terroir et bio. 7 % s’engagent même vers l’élaboration d’un menu végétarien. La tendance est identique pour les cadeaux : plus de personnes achètent par exemple des produits reconditionnés ou d’occasion, mais ce courant reste minoritaire.
Je fais attention le reste du temps, je peux me faire plaisir, c'est Noël !
Les bénéfices recherchés dans les achats de Noël sont principalement de deux ordres : des bénéfices hédonistes, liés à l’achat « plaisir » et des bénéfices symboliques, liés à l’image qui est générée vis-à-vis de ses enfants et de ses convives. Se faire plaisir et faire plaisir devancent donc largement les comportements vertueux d’un point de vue écologique et sociétal. Pour satisfaire ces motivations, et, dans certains cas, réduire la dissonance cognitive, les individus mettent en place des mécaniques de compensation, formulées comme suit : « Je fais attention le reste du temps, je peux me faire plaisir, c’est Noël ! ».
On retrouve ces paradoxes à différents niveaux : le bien-être animal et la réduction de la consommation de viande font partie des thématiques importantes à l’heure actuelle. Toutefois, l’incontournable à Noël reste le foie gras pour 76 % des Français (source : Statista 2019). Du côté des cadeaux, l’achat plaisir domine avec l’achat de 11 cadeaux en moyenne pour un enfant de 3 ans (Baromètre « approuvé par les familles 2019 »). La notion de plaisir est renforcée par le sentiment d’abondance et de possession matérielle. Les bénéfices d’image vont ainsi à l’encontre des achats responsables à Noël, qui se font au détriment des achats d’occasion, par exemple.
En résumé, les problématiques d’hyperconsommation sont omniprésentes à Noël : un Français sur dix s’endette pour les achats de Noël, et près d’un sur cinq a déjà revendu ses cadeaux. C’est sans compter l’impact que peut avoir cette hyperconsommation sur le matérialisme des enfants et les impacts négatifs à long terme.
Comment les entreprises ajustent-elles leur offre au regard de cette demande émergente sans sombrer dans le greenwashing ?
La fronde contre le Black Friday symbolise un vrai courant contestataire, en lutte contre l’hyperconsommation. Côté distribution, depuis trois ans, la Camif a fermé son site de vente en ligne ce jour-là, tandis qu’en 2016, Patagonia reversait 100 % de son chiffre d’affaires du jour à des associations protectrices de l’environnement.
Le tout pose la question de la perception des prix par le consommateur. Aujourd’hui, le consommateur n’achète plus… s’il achète à un prix non soldé : 80 % des gens disent attendre les périodes de soldes pour leurs achats de vêtements. Ces réductions à outrance font qu’ils ne comprennent plus la constitution d’un prix. Le prix est symbole de valeur : moins il est élevé, plus on gaspille. Ainsi, aujourd’hui, 70 % d’une garde-robe n’est pas utilisée.
Certaines entreprises du commerce équitable notamment travaillent depuis longtemps sur la définition d’un prix, la manière dont il est réparti au sein de la chaine de valeur, limitant soldes et promotions. D’autres s’engagent sur l’ensemble du cycle de vie du produit – de la rémunération juste des fournisseurs à toutes les étapes, jusqu’à la définition du juste prix final, tout en réduisant leur impact environnemental. C’est le cas de 1083, à Romans-sur-Isère, dont les jeans (en coton certifié bio ou en fibres recyclées) et chaussures sont produits dans un rayon de 1083 kilomètres, en France. L’entreprise, rejoint par le Slip français, travaille sur la mise au point d’un fil recyclé fabriqué localement. Rappelons que la production de coton utilise 25 % des pesticides dans le monde, alors qu’il représente 5 % des terres cultivées. En parallèle, de nouveaux business models voient le jour comme la location de jeans pour les enfants avec Tale me shop et pour les adultes avec Mud Jeans. 1083 propose également un jean consigné.
Dans l’alimentaire, des marques à forte notoriété comme Alpina Savoie, D’Aucy, Fleury Michon… évoluent vers une alimentation durable, en favorisant des pratiques agro-écologiques à grande échelle. Lors d’un évènement sur l’alimentation de demain, elles ont exposé leurs engagements à court terme. Ainsi, Fleury Michon travaille à la création d’une filière du cochon bio en France. Actuellement, 95 % de leurs porcs bio proviennent du Danemark. Avec sa filière Bio de France, Alpina Savoie vise également un engagement sur le résultat – zéro résidu de pesticides– et une meilleure rémunération des producteurs français. Dans ce cas de figure, l’objectif qui domine n’est pas la rentabilité à court terme, mais une vision à plus long terme de l’alimentation.
En savoir plus
- Etude Credoc conso durable CSP
- Ethicity /greenflex Baromètre 2017
- Mud jeans : jeans en location
- Location de vetements pour enfants
- Projet « Moncotton » de 1083 et le Slip Français mettre au point un fil recyclé fabriqué localement
- Rapport de l’ARPP (2017) publicité et environnement